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tion sociale ne se concentrerait pas dans la capitale ainsi qu’en France, elle se répandrait comme un incendie dans les villes manufacturières et dans les campagnes, et elle aurait un but à poursuivre, qui serait de mettre la propriété aux mains de tous.

En France, une grande faute des gouvernemens, que les Anglais n’ont pas commise, a été de concentrer la vie dans la capitale aux dépens des provinces: c’est pourquoi les révolutions sociales éclatent périodiquement à Paris. Dans les grandes villes, l’extrême opulence et l’extrême richesse se touchent, se coudoient et se rencontrent parfois sous le même toit. On a laissé accumuler à Paris un nombre immense d’ouvriers arrachés aux bonnes influences du lieu natal. Souvent sans lien de famille, sans foyer, sans culte, sans appui, leur vie est difficile, leur emploi précaire, leur ignorance grande, leur moralité très ébranlée; puis, dans leur sphère dorée, les oisifs leur donnent le spectacle scandaleux de leurs vices, de leurs prodigalités, d’une existence que condamnent et la morale chrétienne et la science économique. Comment ce contraste ne provoquerait-il pas un esprit de haine et de révolte? Le gouvernement a enlevé aux campagnes des millions employés à élever des palais, des boulevards, des jardins, des salles de théâtre, à rassembler ainsi comme à plaisir les élémens et les prétextes d’un bouleversement social. Dans les campagnes, la vie est sains pour le corps, saine pour l’âme; elle est simple et active. La différence des conditions est adoucie par les relations personnelles. Le riche donne aux pauvres de bons exemples, de bons conseils, tout au moins de bonnes paroles. L’opposition des classes n’est pas absente, mais elle n’est pas exaspérée jusqu’à la fureur, jusqu’à la rage destructive. C’est aux champs que se produit la principale richesse, les subsistances, dont dépend en définitive le bien-être du pays. Et cependant les gouvernemens, sans voir les dangers qui menacent l’ordre social, ont vidé les provinces d’hommes et d’argent pour attirer dans la capitale les ouvriers par des travaux improductifs, les gens aisés par la concentration des pouvoirs politiques et par l’attrait de tous les plaisirs : politique insensée à laquelle il faut mettre un terme en donnant aux provinces et aux communes l’indépendance administrative et la disposition des ressources qu’elles créent, et qu’aujourd’hui les grandes villes consomment. Si la démocratie se maintient en Suisse, c’est parce qu’elle est une démocratie rurale sans grandes villes.


III.

J’ai essayé de montrer que la crise sociale qui a livré les démocraties antiques aux mains du despotisme reparaît dans nos démo-