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tiques, ceux de Mill, de Prévost-Paradol, de Bagehot : république ou monarchie représentative, les auteurs semblent n’y faire nulle différence. Ils cherchent les formes d’un bon gouvernement, et les règles qu’ils formulent s’appliquent aussi bien à la forme républicaine qu’à la forme monarchique. Ces questions qui autrefois remuaient tant les passions, on les discute donc aujourd’hui avec une impartialité parfaite et une méthode toute scientifique que n’influencent plus ni engouemens, ni hostilités.

Ce qui porte M. Passy à douter de l’avènement prochain et universel de la république, ce sont les enseignemens de l’histoire. Il fait d’abord remarquer que la chute de l’aristocratie ne doit pas entraîner, comme on le dit, la chute de la royauté, attendu que la royauté a grandi sur les ruines de l’aristocratie, et que son pouvoir s’est accru dans la proportion exacte où diminuait celle des nobles. À Rome, l’empire s’est établi en écrasant les patriciens, puis en les asservissant. Dans l’Europe moderne, les souverains n’ont fondé leur autorité qu’en brisant les résistances des grands propriétaires féodaux. Le seul pays où le roi n’est jamais parvenu à établir le pouvoir absolu est celui où l’aristocratie a survécu jusqu’à nos jours. « On a vu, ajoute M. Passy, des républiques se transformer et subsister en monarchies, il est sans exemple qu’une monarchie d’une certaine grandeur ait réussi à se transformer et à subsister en république. Parmi celles qui l’ont essayé, les unes, accablées par les dissensions d’une violence croissante, ont fini par succomber sous les armes de l’étranger, les autres sont revenues sur leurs pas, mais à travers des dictatures plus ou moins longues et oppressives. Tel a été jusqu’ici le cours constant des événemens, et à moins qu’il ne survienne dans la situation, le tempérament, les tendances et les aptitudes politiques des nations de l’Europe des changemens que n’annonce aucun signe précurseur et auxquels les enseignemens du passé défendent de croire, tel il demeurera durant tout l’avenir, sur lequel les données du présent autorisent à former des conjectures. » À ne consulter que l’histoire, les conclusions de M. Passy sont inattaquables. Toutes les républiques de la Grèce vont se perdre dans l’empire d’Alexandre, et toutes les républiques italiques, gauloises, hispaniques et libyques dans l’empire romain. L’Europe au moyen âge, du nord au midi, était pleine de républiques. Combien en reste-t-il aujourd’hui ? Une seule, la Suisse. Deux grandes nations, la France et l’Angleterre, ont tenté par des efforts héroïques de fonder la république ; toutes deux ont échoué, et la seconde à deux reprises déjà. La grande république polonaise a été dévorée par l’absolutisme moscovite, et, quand on a écrit son histoire, on n’a pas cru pouvoir lui donner de titre plus juste que