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avec une érudition toujours sûre ; mais l’originalité manque trop souvent par la raison très simple que l’Allemagne n’a pas encore joui de la pleine liberté politique. En Angleterre et en Amérique, nous trouvons des auteurs éminens qui résument l’expérience d’une grande race habituée au régime représentatif et libre, Lewis, Brougham, Mill, Lieber, Bagehot; mais l’empreinte anglo-saxonne est si profondément marquée dans leurs écrits, qu’on ne peut y trouver les raisons pour lesquelles les autres peuples n’ont pas su conquérir ou garder la liberté comme les Anglais. Or pour nous, voilà la grande question. Le livre du diplomate russe dont nous donnons le titre en tête de cette étude n’est pas sans mérite, mais il se tient dans les généralités philosophiques et glisse sur les faits actuels.

M. Passy passe en revue tour à tour l’histoire de la Grèce, celle de Rome, de la France, de l’Angleterre, des Pays-Bas, de l’Italie, de tous les pays européens, et il démêle avec une sûreté qu’on ne peut trop admirer les causes qui ont ici amené le despotisme, et qui là ont fait triompher la liberté. Chacun de ces chapitres historiques est lumineux de bon sens et renferme mille enseignemens dont jamais mieux qu’en ce moment on ne peut apprécier la justesse et l’utilité. Je résumerai brièvement les conclusions de ce livre remarquable en me réservant d’en discuter ensuite certains points, avec toute la déférence qu’inspire naturellement une telle autorité.


I.

Ce qui fait la différence essentielle des formes de gouvernement, c’est, d’après M. Passy, la part plus ou moins grande de pouvoir qu’ils assurent au peuple. Dans les monarchies, le pouvoir suprême est exercé en tout ou en partie par des souverains héréditaires. Dans les républiques au contraire, tous les pouvoirs émanent de l’élection, et la nation se gouverne elle-même par ses élus. Ce qui distingue nettement la république de la monarchie, c’est que dans l’une le peuple conserve et que dans l’autre il abandonne la souveraineté constituante. Chacune de ces formes de gouvernement présente une infinité de nuances qui les éloigne ou les rapproche les unes des autres, mais les traits caractéristiques de chacune d’elles se prononcent de plus en plus dans le cours de l’histoire.

Voyons maintenant d’où provient la diversité des formes de gouvernement. Partout la tâche des gouvernemens a été la même : maintenir la paix et l’ordre dans les états qu’ils régissent, et en assurer la défense contre les attaques de l’étranger. Voilà ce que les peuples ont toujours exigé de leurs gouvernans. Or les conditions des divers états ayant été et étant encore très différentes, les