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quie contre la Grèce, pour les oppresseurs de la nationalité hellénique contre les représentans de la race grecque opprimée. Elle ne se contentait même pas de soutenir les intérêts et les prétendus droits de la Porte-Ottomane, il ne lui suffisait pas que le Turc fût maintenu en possession de toutes ses conquêtes ; elle voulait qu’il fût respecté, honoré, qu’il prît rang parmi les peuples civilisés. Tandis que l’Angleterre maintenait l’intégrité de l’empire ottoman par un calcul politique dont elle ne dissimulait pas les motifs intéressés sans essayer de faire illusion au monde sur les vertus de son protégé, la France officielle entreprenait la réhabilitation morale de la race turque, et propageait le mensonge d’une civilisation musulmane. Notre diplomatie insinuait volontiers que, si les Turcs avaient conquis autrefois par le droit du plus fort la Thessalie, l’Épire, la Macédoine, la Crète, les côtes de l’Asie-Mineure, ils les gardaient aujourd’hui du droit que leur donnait leur supériorité sociale sur la race hellénique. Partout où séjournaient des représentans de la France en Orient, missionnaires, négocians, agens consulaires, il circulait parmi eux une sorte de mot d’ordre en l’honneur de la probité, de la loyauté turque, qu’on opposait avec affectation à la duplicité grecque.

Assurément les Hellènes ne méprisent ni l’habileté, ni la ruse ; ils se glorifient eux-mêmes de descendre en droite ligne de l’artificieux Ulysse, type du Grec des îles, aussi bien que du bouillant Achille, type du Rouméliote ; mais quoi de plus corrompu et de plus vénal que l’administration turque ? Quoi de plus suspect que la probité des pachas, des juges, des fonctionnaires de tout ordre, de tous ceux enfin qui prétendent représenter la civilisation ottomane ? Il serait aussi puéril d’y croire que de parler encore de la vieille honnêteté allemande après le pillage méthodique de nos maisons de campagne. Notre presse officieuse n’en essayait pas moins de nous abuser sur le compte des Turcs en leur attribuant des vertus conventionnelles, en énumérant les progrès accomplis chez eux, comme si la Turquie ne devait pas ce qu’elle fait de mieux à l’activité des étrangers, ou à l’industrie des chrétiens qu’elle compte parmi ses sujets. On connaissait même si bien les dispositions favorables des Tuileries pour la Porte-Ottomane, qu’un journaliste officiel, au retour d’un voyage en Orient, croyait plaire au souverain en rappelant qu’une jeune personne de la famille de Joséphine, enlevée autrefois par des corsaires et devenue sultane favorite, établissait un lien de parenté entre un des ancêtres du sultan et l’empereur des Français. D’autres courtisans exploitaient contre les Grecs, qu’on voulait décidément sacrifier aux Turcs, les sentimens religieux de la France en réveillant les vieilles querelles des deux