Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne rencontrions que l’indifférence générale, sinon le mauvais vouloir du plus grand nombre. Non-seulement aucun état ne s’armait pour notre défense, ce qui peut à la rigueur s’expliquer par des nécessités politiques, mais nulle part, dans les grands pays où l’opinion publique dirige les affaires, elle n’imposait aux gouvernemens l’obligation d’intervenir en notre faveur : les populations nous abandonnaient en même temps que la diplomatie.

Seuls, quelques états neutres, quelques petits peuples condamnés à l’impuissance par leur faiblesse, nous témoignaient alors un attachement qu’il serait injuste et impolitique d’oublier. On sait ce que le département de la Moselle, ce que les villes de Metz et de Thionville, doivent à l’humanité du grand-duché de Luxembourg. La Suisse a été hautement remerciée de la généreuse assistance qu’elle offrait au mois de septembre 1870 à la population de Strasbourg, de l’accueil hospitalier qu’elle faisait quelques mois plus tard à notre malheureuse armée de l’est. Peut-être ne sait-on pas aussi bien quels secours nous sont venus de l’Orient, ce que la race hellénique a tenté sur tous les rivages qu’elle occupe pour nous payer la dette de Navarin et de l’expédition de Morée. Il importe cependant de ne pas laisser dans l’ombre des faits qui honorent une nation trop souvent méconnue en France. La Grèce, qui a oublié nos épigrammes pour ne se souvenir que de nos bienfaits, mérite que notre gratitude réponde à la sienne. Traitons-la comme ces amis fidèles dont on médit quelquefois dans la prospérité, mais qu’on est sûr de retrouver dans les jours difficiles, dont on ne connaîtrait pas tout le dévoûment, si l’on n’avait souffert, — auxquels on doit d’ailleurs d’autant plus d’égards et de marques d’amitié qu’on les a moins ménagés lorsqu’on se figurait qu’on n’aurait jamais besoin d’eux.


I.

La politique étrangère du gouvernement impérial, dont la guerre vient de dévoiler toutes les fautes, n’avait été ni plus habile, ni plus clairvoyante en Orient que dans le reste du monde. Elle y commettait même l’étrange et inexcusable maladresse d’y combattre, sur le seul terrain où elle pouvait le défendre sans danger pour la France, le principe des nationalités qu’elle introduisait ailleurs dans la diplomatie, et dont elle favorisait à nos portes la périlleuse expérience. Pendant qu’elle laissait la Prusse dépouiller le Danemark sous prétexte de protéger dans les duchés danois les intérêts de la race germanique, elle prenait parti en toute occasion pour la Tur-