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prestige s’en était allé en fumée. Les vaisseaux peuvent traverser les passes les plus formidablement défendues, si on ne les arrête par des obstacles sous-marins ; ils peuvent détruire les murailles de pierre, faire évacuer les batteries gazonnées, lorsque ces ouvrages sont à peu près de niveau avec leurs canons : ils sont impuissans contre des feux qui les dominent. Leur triomphe en tout cas restera stérile tant que des troupes de débarquement ne se tiendront pas prêtes à envahir les batteries réduites au silence. La flotte alliée eût épuisé toutes ses munitions sans faire avancer d’un pas la reddition de Sébastopol. On lui avait demandé une diversion, et la diversion avait été faite ; malheureusement nous étions dans une saison où les beaux jours sont rares, et il fallait un beau jour pour s’embosser devant Sébastopol. On avait donc brusqué l’attaque ; personne n’était prêt, l’effort qui devait tout emporter avait été décousu, successif, au lieu d’être simultané. C’eût été à recommencer, si l’on eût pu recommencer avant que l’armée se fût mise en état de reprendre l’offensive.


IV.

L’armée avait trouvé un adversaire beaucoup mieux préparé qu’elle ne le supposait. Le duel d’artillerie n’avait pas tourné à son avantage, et les parapets qu’elle avait élevés n’avaient pu, avec leur épaisseur strictement réglementaire, arrêter des projectiles inusités jusqu’alors dans à guerre de siège ; des magasins à poudre s’étaient effondrés et avaient fait explosion ; les plates-formes des batteries s’étaient affaissées sous le poids de nos grosses pièces de marine ; enfin le feu des Russes avait dépassé toute attente. Les vaisseaux étaient arrivés fort à propos pour occuper l’ennemi et donner aux nôtres le temps de se remettre d’une si chaude alerte. Sur aucun point cependant, nos canonniers ne manquèrent de fermeté, il fallut leur réitérer plusieurs fois l’ordre de cesser le feu. Les Russes ne se montrèrent pas moins intrépides ; s’ils fléchirent un instant, ce ne fut qu’au bastion central, où les éclats de la maçonnerie rendaient la batterie réellement intenable. L’amiral Kornilof fut tué dans ce bastion en voulant ramener les artilleurs à leurs pièces.

Après le combat du 17 octobre, il se fit comme une pause dans le siège. Chacun réparait en silence les dégâts infligés à ses batteries, et en construisait de nouvelles. Les vaisseaux de l’amiral Hamelin, ceux de l’amiral Dundas et de l’amiral Lyons étaient retournés à la Katcha. Nous avions repris notre poste devant Kamiesh. La situation s’était beaucoup assombrie. Il ne faut pas oublier que la flotte n’avait pu promettre de rester en communication avec l’armée.