Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miral avait cédé à mes instances, mais non, je dois le dire, sans quelque hésitation. Le Montebello avait la réputation d’être un mauvais voilier, et le rêve de la plupart des officiers de marine était encore à cette époque de ne demander à la vapeur qu’un secours éventuel. L’ancien vaisseau de ligne, doublé d’une frégate à roues qui put le remorquer au besoin, leur semblait préférable à ces navires hybrides dont la cale ne pouvait plus contenir que des approvisionnemens insuffisans, et qui, mal servis par leurs voiles, étaient souvent trahis par leur machine. N’avait-on pas vu le Napoléon lui-même, ce vaisseau qui faisait des pas de géant, qui traînait devant Abydos deux ou trois autres vaisseaux après lui, manquer de souffle et s’arrêter court au milieu des escadres qu’il venait d’éblouir par ses prouesses ? La marine à hélice, dans sa plus haute expression, semblait n’avoir d’haleine que pour deux ou trois jours de marche : la marine à voiles était moins prompte sans doute à franchir les distances, mais on la trouvait toujours prête à répondre au signal. Ce n’était pas la lampe dont il faut à chaque heure visiter le mécanisme et alimenter le récipient. Si la paix, qui durait depuis quarante ans, n’eût point été troublée, la vieille machine n’eût pas probablement accepté de si tôt sa déchéance. Les courans des Dardanelles et du Bosphore, qu’elle ne pouvait refouler sans un vent favorable, mirent à trop forte épreuve ses facultés restreintes. Toutes les objections qui s’obstinaient à plaider encore en sa faveur s’effacèrent devant le besoin impérieux de rapides transports et d’arrivées ponctuelles. Le nouvel instrument ne devait pas d’ailleurs avoir un bien long règne. Les vaisseaux à vapeur avaient relégué dans l’histoire les vaisseaux à voiles ; ils se virent à leur tour chassés de l’arène par un engin de date plus récente. Les murailles de fer succédèrent aux boulevards de bois. L’architecture navale en fut troublée jusque dans ses fondemens ; l’artillerie en resta longtemps déconcertée. Il lui fallut enfin céder à l’impulsion qui emportait tout en avant. La lutte s’établit entre le canon rayé et le vaisseau cuirassé. Cette lutte dure encore, et de l’issue que la science lui réserve dépend la constitution de la marine à venir.

Qui pourrait en effet saisir au passage l’expression essentiellement changeante et fugitive de l’art naval au XIXe siècle ? La marine d’aujourd’hui, ce n’est pas cependant le navire périssable dont le type se transforme sans cesse ; c’est bien plutôt le personnel qui monte aujourd’hui notre flotte. Laissons ce personnel changer à son gré ses vaisseaux. Nous le reconnaîtrons toujours à son admirable esprit d’ordre et de discipline. Ce sont là les dieux lares que la marine française emporte avec elle, sur mer ou dans les camps, partout où peut l’appeler le service du pays. La part active et glorieuse que