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LA
MARINE D’AUJOURD’HUI

PREMIÈRE PARTIE.
LA FLOTTE DE LA MER-NOIRE.

Le XVIIe siècle avait assisté à une entreprise merveilleuse, la création de la marine française ; cette marine avait osé naître et se développer en face des flottes déjà considérables de la Hollande et de l’Angleterre. Notre siècle devait être témoin d’une audace non moins grande : nous avons vu la Russie préparer en silence une lutte qui semblait impossible, et se proposer de surprendre l’Angleterre et la France en flagrant délit d’infériorité. L’entreprise de l’empereur Nicolas n’eut pas une meilleure issue que celle de Louis XIV. Si les Français cependant n’avaient eu à combattre que les Anglais à La Hougue, si les Russes en 1854 n’avaient eu à se mesurer qu’avec une des deux flottes alliées, on serait moins fondé peut-être à taxer de présomption la pensée lentement poursuivie des deux souverains. La flotte du grand roi n’avait contre elle que le nombre ; les quarante vaisseaux du tsar furent surtout réduits à l’impuissance par l’extension qu’avait prise depuis quelques années sur les deux rives de la Manche cette marine de l’avenir dont les préventions les plus opiniâtres n’avaient pu arrêter les progrès. Supposons un instant que l’art naval fût resté stationnaire, on reconnaîtra qu’il n’eût pas été si facile, même à l’Angleterre et à la France réunies, de tenir enfermés dans Cronstadt les vingt-cinq vaisseaux de la Baltique, dans Sébastopol les quinze