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II.

Former avec les marins des bataillons de marche, c’était reprendre l’idée de Napoléon Ier. Lorsqu’en 1815, au retour de l’île d’Elbe, l’empereur appelait à lui contre l’Europe coalisée tout ce qu’il pouvait encore trouver de force et d’énergie au cœur de la nation, un décret parut dans le Moniteur, ordonnant de vider immédiatement les vaisseaux, et de jeter à terre, sous le nom de régimens de haut-bord, les équipages de la flotte. Profilant des embarras de son plus terrible ennemi, le parti vendéen avait de nouveau pris les armes au nom du roi dans tout l’ouest de la France. On lui opposa les régimens de haut-bord, et les blancs durent convenir que jamais, sans oublier même les Mayençais de Kléber, ils n’avaient rencontré d’adversaires aussi redoutables. Leur mépris du danger, leur force physique, l’espèce d’irrégularité qu’ils mettent dans leurs marches et leur façon de combattre, tout, jusqu’à cet instinct du matelot qui le porte à flairer sans cesse autour de lui et à renverser aussitôt l’obstacle qui s’oppose à sa curiosité, rendait nos marins admirablement propres à une guerre de coups de main, telle qu’on la pratiquait alors en Vendée. A cinquante ans de distance, au siège de Paris, les mêmes qualités devaient trouver leur emploi contre un ennemi comme les Prussiens, qui percent les maisons de créneaux, s’abritent dans des trous, évitent autant que possible la lutte corps à corps, et semblent en toute occasion compter bien plus sur la ruse que sur leur courage. Nul mieux que les marins ne savait déjouer leurs stratagèmes, nul avec plus de résolution sauter dans les tranchées, escalader les murs, ou enfoncer à coups de crosse les portes des maisons. On les a vus souvent à l’œuvre, à Choisy-le-Roi, à Clamart, au Bourget. Ils remplaçaient les zouaves, nos zouaves morts à Frœschwiller. Le fort de Bicêtre fournit un bataillon à lui seul, 600 hommes ; Ivry et Montrouge 300 hommes chacun : ce fut le 2e bataillon. Quant au 3e il fut tiré des forts de l’est, Noisy, Rosny, Romainville : celui-là s’est fait hacher au Bourget.

Mais notre équipement, bon seulement pour les forts, ne suffisait plus au nouveau rôle que nous étions appelés à jouer. Successivement nous reçûmes le sac de marche, l'as de carreau, comme disent les militaires dans leur langage figuré, puis la capote, la longue capote grise des mobiles et des soldats, destinée à nous confondre avec eux, — car le grand col bleu, beaucoup trop reconnaissable, risquait d’attirer sur nous l’attention particulière d’un ennemi qui ne nous aimait pas, — et en dernier lieu la peau de mouton, si utile contre le froid : on la mettait sous la capote. Je me suis laissé dire qu’il fallait autrefois six mois pour préparer les peaux de mouton en leur