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tantôt, armés de haches, nous abattions les maisons et les arbres qui masquaient le tir de nos batteries. D’autres fois encore, avec deux pièces de douze, nous allions jusque dans Vitry reconnaître les barricades et les premiers travaux de l’assiégeant ; les obus du fort fouillaient la route devant nous. C’est ainsi que notre temps s’écoulait, utilement employé pour la défense et pour l’attaque.

Ici se placent les premiers combats livrés devant les murs de Paris, l’un entre autres, le plus important, bien connu dans l’histoire du siège sous le nom de combat de Châtillon. Un engagement sérieux avait déjà eu lieu sous nos yeux près de Villejuif. L’action du reste n’eut pas seulement pour théâtre le plateau qui domine la vallée de la Bièvre, plateau dont la perte devait avoir pour nous de si funestes conséquences ; elle s’étendit à toute la rive gauche de la Seine, et les forts du sud, depuis Issy jusqu’à Charenton, purent y prendre part. Je n’ai pas l’intention de raconter l’une après l’autre les différentes affaires auxquelles j’ai assisté. Ces récits de bataille se ressemblent tous ; en outre le simple soldat est aussi mal placé que possible pour voir et pour juger. Comme on l’a dit, celui qui fait la guerre ne saurait en parler. Chaque combattant est isolé pour ainsi dire ; du moins ignore-t-il ce qui se passe à cinquante pas de lui. Plus d’une fois nous apprîmes par les journaux du lendemain, non-seulement les détails, mais le résultat même d’une affaire dont nous avions été les acteurs ou les témoins : ainsi pour ce combat de Châtillon, où toute la journée nous crûmes de bonne foi que l’avantage nous était resté. Je me bornerai à dire simplement mes impressions et celles de mes camarades. C’était la première fois que nous entendions les mitrailleuses ; je l’avouerai, nous fûmes émus. Rien de plus épouvantable en effet que ce bruit rauque et persistant qu’on a justement comparé au bruit d’une toile qui se déchire, ce crépitement sonore qui domine tout le tumulte de la bataille, et qui, lorsqu’on l’a entendu une fois, ne peut plus s’oublier. Au moins le canon a-t-il quelque chose de grand, de majestueux, et la mort, quand elle se présente ainsi, semble moins effrayante ; mais cet odieux instrument de massacre, cette petite roue qui tourne en crachant des balles, cette machine qui fauche les hommes méthodiquement, par coupes réglées, comme la faucheuse à vapeur couche l’herbe dans les prairies, la mitrailleuse fait peur. Je n’ai pas vu de soldat, même à la fin de la campagne, qui se fût habitué à ce bruit affreux, et qui, en l’entendant, ne se sentît le cœur tristement serré. L’échec de Châtillon dévoila leur faiblesse aux Parisiens, trop confians. Évidemment, avant de faire à nouveau une tentative qui eût quelques chances de succès, il fallait, en présence de l’ennemi, organiser une armée, créer une artillerie, fabriquer des armes et des munitions. La tâche était ardue, compliquée, immense. Paris ne la