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pose, mais plus près de Chilleurs, à Nesploy et à Nibelles, la route qui nous conduisait le plus directement sur Orléans, déjà tombé au pouvoir de l’ennemi, offrait une distance presque double de celle qui sépare cette malheureuse ville de Chilleurs et d’Artenay. Cela seul explique comment les Prussiens purent nous y devancer et y concentrer des forces imposantes qui garantissaient leur précieuse conquête contre tout retour offensif de notre armée. Cette route passe par la chaussée de Combreux, Vitry-aux-Loges, La Faye-aux-Loges et Donnery. En plusieurs points, elle avait été coupée par des tranchées profondes qui, mal comblées à la hâte, retardaient notre marche, surtout celle de l’artillerie. Néanmoins, grâce à l’ardeur de nos troupes, réveillée par l’attente du combat vers trois heures nous avions dépassé Donnery et franchi le canal d’Orléans. Vains efforts : l’ennemi, rangé en bataille, nous attendait en avant d’Orléans avec des forces considérables. Un moment, un engagement fut imminent. Nos positions de combat étaient prises sur les hauteurs qui séparent le canal d’Orléans de la vallée de la Loire. Des informations plus exactes sur la situation de l’armée firent sans doute changer les résolutions du général en chef. Par un mouvement à gauche, nos colonnes rejoignirent la grande route qui conduit à Jargeau, le long du grand fleuve. A six heures du soir, nous étions bivouaques sur la rive gauche. Infanterie, cavalerie, artillerie, bagages, tout avait passé sur le pont de Jargeau, — pont en fil de fer coupé avant la première occupation des Prussiens, et rétabli par eux. — Que nul désastre ne marqua ce passage précipité sur un tel pont, ce fut certes un hasard providentiel; mais notre tristesse n’en était pas moins profonde. Si nos chefs n’avaient pas cru devoir livrer un dernier combat pour le salut d’Orléans, c’est qu’Orléans était bien perdu pour la France, et la perte d’Orléans, c’était la fin de nos espérances les plus chères, la preuve trop évidente de désastres que nous ne pouvions connaître, mais qui avaient dû frapper notre armée : tristes et douloureuses conjectures qui répondaient trop bien à la réalité, tristes et douloureuses prévisions que l’avenir devait trop tôt vérifier. En effet, dès ce jour les destinées de l’armée de la Loire étaient écrites, et de fait cette armée n’existait même plus comme menace, comme obstacle à la marche de l’ennemi. Que le prince Frédéric-Charles voulût écraser soit l’aile droite, dont le général Bourbaki venait de prendre le commandement avec une abnégation patriotique dont l’histoire lui tiendra compte, soit l’aile gauche, aux ordres du général Chanzy, il le pouvait avec plus ou moins de peine, mais il le pouvait sûrement. Ces deux ailes, désormais sans communications directes, débris épars d’une armée imposante au moins par le nombre, ne