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morale dont nous avons tant besoin pour nous refaire. La France se meurt d’indiscipline après que pendant longtemps nous l’avons vue mourir de servitude. Eh bien! vous êtes la discipline vivante... Et j’entends ce mot dans son sens le plus régénérateur, le plus humain, le plus efficace... Nous avons pendant quinze ans attaqué l’armée, nous nous sommes moqués d’elle sur tous les rhythmes et sur tous les tons. Je vous en demande pardon. Nous sommes des railleurs; nous avons voulu distribuer le ridicule, et c’est à nous qu’il a été infligé. Nous avons raillé la patrie, raillé l’armée; encore une fois je vous en demande pardon en mon nom et au nom du parti. » Tenons compte et prenons acte de ces repentirs oratoires qui abondent aujourd’hui à la tribune ou au barreau. Ils prouvent au moins que la popularité s’est retournée dans un autre sens, dans le sens de la raison et du bon sens, et que nos illustres pénitens commencent à s’en apercevoir ; mais il y a deux ans à peine quelle verve d’épigrammes, quelles railleries contre ces vieilles idoles du cœur français, la gloire, l’honneur militaire, le drapeau, la patrie! Les hommes de 93 avaient ce grand avantage sur les pâles comédiens qui ont prétendu les recommencer : leur âme brûlait de patriotisme. Où pouvait-on retrouver trace de cette flamme sacrée dans l’âme froide et légère des jacobins modernes? La patrie, eux-mêmes le disaient aux applaudissemens des cafés ou des clubs, la patrie, c’était un poteau gardé par un douanier! Il ne faut pas s’étonner si quelques-uns des soldats qui avaient recueilli les échos de ces discours s’en souvinrent plus tard.

Tout cela, c’est notre histoire d’hier. Ajoutez à ces influences diverses la complicité d’une bourgeoisie frondeuse qui applaudissait, sans prévoir la fin, à cette œuvre de démolition sociale; joignez-y l’indifférence profonde d’une société tout absorbée dans les affaires, l’argent et les plaisirs, sans souci du reste, et au-dessous de cette surface déjà minée les passions ardentes de quelques fanatiques qui creusaient l’abîme où nous avons manqué périr, d’accord avec les appétits surexcités des multitudes et la conspiration de l’Internationale : vous ne vous étonnerez plus de la profondeur de notre chute, ni de l’étendue des ruines qui couvrent le sol de la France.

Les ruines matérielles se relèvent vite; mais pour les ruines morales il faut un plus grand et plus difficile effort. Sachons au moins mettre à profit cette terrible leçon. Nous avons appris qu’on ne joue pas impunément dans ce pays avec les phrases révolutionnaires. Ce jeu peut se prolonger sans grand péril chez d’autres nations, pas en France. Nous avons vu quel mal nous ont fait ces écrivains voués à une détestable propagande par légèreté d’abord, puis par envie et par haine; nous avons pu mesurer les effets de