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adeptes et ne les exposant qu’aux sifflets du public, l’autre compromettant le public lui-même et ensanglantant les rues. Il faudrait aussi atteindre une autre forme du même mal, démasquer sans pitié tous ces courtisans et ces flatteurs de la puissance populaire, non moins funestes que ceux des cours, qui ne cessent dans leurs journaux, dans leurs livres, dans les conférences, dans les clubs, d’exalter le peuple, le noble peuple, le généreux peuple, et de le griser de leurs vaines louanges partout où ils peuvent entrer en communication avec son cœur héroïque, avec sa grande âme : adulation fatale qui n’a pas contribué médiocrement à démoraliser la foule en la persuadant de l’infaillibilité de ses passions. On accuse l’empire d’avoir fait de la mauvaise démocratie, du socialisme honteux. Des lois comme celles sur les coalitions et sur les livrets, plusieurs autres encore, purent compromettre gravement l’ordre moral dont l’ordre matériel dépend. Tout cela est possible; mais ce qui est certain, c’est que, si l’empire a trop donné à la mauvaise démocratie, il n’en profita guère. Ceux qui en profitèrent, ce furent ceux-là mêmes qui avaient fait concurrence à ce jeu dangereux du pouvoir en allant plus loin que lui dans cette voie fatale, les révolutionnaires de profession, les irréconciliables et radicaux de la chambre qui triomphèrent par ces fautes après les avoir partagées. Il est vrai que la logique des événemens les a cruellement châtiés depuis en les amenant de faute en faute à cette dure nécessité de fusiller leurs élecleurs : triste lendemain de tant d’ovations populaires!

Des idées et des exemples tombés de si haut, une éloquence révolutionnaire tant applaudie dans les livres, au théâtre, à la tribune, voilà ce qui aurait perdu la bohème, si déjà elle n’avait incliné par ses propres vices vers la pente qui conduit aux abîmes. Soyons sévères pour elle, il le faut; mais la justice veut que la responsabilité soit partagée avec de plus illustres personnages qui avaient fait alliance avec elle et ses journaux, lui prodiguant les plus fins sourires, les plus délicates flatteries, engagés dans un commerce de louanges et de coquetteries avec ces fous, qui, tout fiers d’être pris au sérieux, célébraient ces grands citoyens et leur ouvraient la voie triomphale. Quelle part aussi, pour être juste, faudrait-il faire à ces influences dans ce funeste esprit d’indiscipline que les journaux de la bohème semaient dans les rangs de l’armée, préparant ainsi nos défaites devant l’étranger et la défaillance de quelques bataillons au jour de la guerre civile? Ce fut une active propagande et une contagion fatale. On s’en repent maintenant; il est bien tard. Recueillons pourtant ce précieux témoignage; il vient d’une bouche qui ne sera pas suspecte : « Dans ce désastre de la société qui s’écroule, vous êtes, vous, l’armée, les représentans de la seule force, la force