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de fines ironies et de traits acérés contre les vieilles croyances, les vieilles superstitions, les Prudhommes de la philosophie et les dieux démodés. Tout cela tombait dru comme grêle et perçant comme l’acier, bouleversant l’ancien monde et faisant place nette au nouveau. Ce fut un grand régal pour les badauds. On n’avait jamais vu traiter de si cavalière façon de si graves sujets et de si vieilles gens. Nous avions eu, dans la génération précédente, les héros du roman de cape et d’épée; nous eûmes dans celle-ci les mousquetaires de l’incrédulité. Du reste ils n’avaient pas dégénéré; ils étaient bien de la même race, fanfarons, gascons, quelque peu charlatans. Tout cela n’offrait pas encore de grands dangers. Soit; mais descendez de quelques échelons dans la hiérarchie des journaux et des esprits, vous verrez ce que va devenir cette raillerie, cette jactance d’impiété contre tout ce qu’on était habitué à croire ou du moins à respecter. J’ai suivi avec une curiosité attristée cette dégradation de la même idée depuis la littérature des cercles élégans jusqu’à celle des bouges où elle vient expirer sous la forme de quelque feuille populacière avant de tomber dans la hotte du chiffonnier; je l’ai suivie dans sa triste odyssée à travers les journaux les plus variés d’origine, de nuance et de format, jusqu’au Père Duchêne. Du scepticisme raffiné à l’injure grossière, il y a moins loin qu’on ne le croit, et les étapes sont bien vite franchies. Jamais on n’avait si perfidement et sous des formes si diverses travaillé à démoraliser le peuple, à détruire en lui toute foi, tout idéal, à faire le vide dans son âme inquiète, sans savoir comment le remplir, si ce n’est d’appétits et de jouissances malsaines. Un autre péril a. été révélé par les événemens, qui ne nous ont épargné aucune leçon. A force de railler les croyances, on finit par en déshonorer les représentans les plus dignes de respect et par les dénoncer au mépris d’abord, puis à la fureur de la foule. Comment serait-il possible qu’il en fut autrement? Les parties vulgaires de l’humanité ne peuvent pas entrer dans ces fines nuances où se complaisent les raffinés; elles ne prennent dans toutes ces polémiques, dont l’écho descend jusqu’à elles, que les dernières conclusions, les plus palpables, les plus matérielles, si je puis dire, celles mêmes que les esprits d’un certain ordre n’osent pas tirer de leurs prémisses. La traduction populaire est immédiate, grossière, irrésistible. Une fine critique tend à discréditer les croyances comme l’œuvre combinée des rois et des prêtres en vue d’asservir les peuples. Prenez garde, voici que derrière vous s’avancent des écrivains d’un autre tempérament qui, au lieu de procéder par la raillerie, procèdent par l’outrage. La terreur par la parole des journaux ou des clubs annonce et appelle l’autre terreur. De vos ironies, on a fait des insultes; après les insultes, les poignards ou les coups de