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mentale de l’Encyclopédie, l’on vit s’échapper dans ces derniers mois tout un essaim de gros oiseaux de proie, surtout de vilains oiseaux de nuit d’allure équivoque et de vol suspect, qui s’abattirent sur nos principaux édifices pour y établir leur nid et y nourrir tant bien que mal à nos frais leur maussade famille. J’excepte, bien entendu, de cette triste histoire quelques beaux esprits dilettantes de l’athéisme fourvoyés par imprudence dans cette désagréable compagnie, et qui s’en retirèrent avec le plus louable empressement dès que se montra la cocarde rouge cachée jusque-là sous l’enseigne de la doctrine. Ils avaient pensé faire de la science pure; ils désertèrent au plus vite devant une politique qui ne l’était pas.

Pour les autres, ce fut différent. Nos nouveaux Diderot, nos d’Alembert, n’étaient décidément à comparer à leurs devanciers ni pour le talent, qui était médiocre, ni pour la doctrine, qui était détestable, ni pour le désintéressement, qui était nul. Les plus élevés en grade passèrent sans transition des bureaux de l’Encyclopédie à des bureaux plus lucratifs; on dit qu’il y en eut d’un beau rapport. Le plus alerte de ces écrivains dirigea avec de rares aptitudes la police de la délégation de Bordeaux avant d’être délégué lui-même à la commune ; quant aux écrivains de seconde catégorie, ils entrèrent d’emblée dans les comités d’armement créés par cette providence spéciale qui favorise les sectateurs de la doctrine en ce monde pour compenser les félicités de l’autre, auxquelles ils ont renoncé en faisant profession entre les mains du grand-prêtre, M. Mottu.

L’enseignement de cette école ne resta point à l’état purement théorique, enfermé dans les feuilles spéciales que personne ne lisait ou dans ce monument encyclopédique où peu de cliens avaient pénétré. Il descendit avec des allures plus vives, plus dégagées, dans les journaux politiques du parti et jusque dans les clubs populaires; mais là il ne put paraître avec avantage qu’à la condition de se transformer. Ce n’était plus un physicien prétendu qui venait nous donner le dernier mot de la science expérimentale, comme s’il était en son pouvoir de le faire, — ni un professeur d’athéisme dissertant sur le ridicule des causes premières ou le néant des causes finales, ni un médecin raisonnant sur les conditions physiologiques des phénomènes qu’on appelle l’âme, ni un chimiste nous faisant toucher au doigt l’éclosion de la vie sans aucun recours à l’hypothèse qu’on appelle Dieu, — ni même un critique discourant sur la quantité de bile ou de sang qu’il faut pour faire un poème, un drame ou un sermon. Non, tout cela, c’était de la pédanterie pure. Ces lourdes doctrines, passées au creuset de l’esprit parisien, s’évaporèrent en je ne sais quelle nuée légère qui retomba sur la presse en un déluge