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voir faire la révolution sans les femmes? Voilà quatre-vingts ans qu’on essaie, et qu’on n’en vient pas à bout. La première révolution leur décerna bien le titre de citoyennes, mais non pas les droits. Elle les laissa exclues de la liberté, de l’égalité. Repoussées de la révolution, les femmes retournèrent au catholicisme... Entre leur hostilité et leur dévoûment, il faut choisir. Quelques-unes sans doute, méprisant l’obstacle, fortes et convaincues, persistent malgré les dégoûts; mais ces natures-là sont rares! » Je regrette que Proudhon ne soit plus parmi nous pour traiter de la belle façon ces natures-là. Il les avait devinées dans un de ses derniers livres, et flagellées avec une verve d’invectives qui avait fait de cette fustigation une exécution immortelle. Vraiment ces belles natures ne sont pas rancunières. Elles passent par les verges de tous les apôtres du socialisme, et semblent les adorer en proportion des coups qu’elles reçoivent. Toutes, plus ou moins, ressemblent à la Martine de Molière : que voulez-vous, si c’est leur plaisir d’être battues? Tout récemment encore n’ont-elles pas subi en silence cette foudroyante apostrophe de M. Bebel, une espèce de grand-prêtre du socialisme allemand? «Quant à la femme, à de très rares exceptions près, elle ne peut servir à la reconstitution de la société. Esclave de tous les préjugés, atteinte de toute sorte de maladies morales et physiques, elle sera la pierre d’achoppement du progrès. Avec elle, il faudra employer au moral certainement, au physique peut-être, la raison péremptoire envers les esclaves de vieille race : le bâton! » Assurément tout le monde estimera que M. Bebel manque de mesure autant que de galanterie ; mais, quand on voit en quelle estime la femme est tenue par Proudhon et par M. Bebel, il est beau de sa part, et c’est faire preuve d’une rare générosité, de se vouer au culte de la révolution, dont elle n’obtient que le mépris en attendant le bâton.

Bohème que tout cela ! bohème recrutée au hasard dans la littérature et dans la science, dans toutes les conditions, tous les âges et tous les sexes. Nous avons vu paraître ce phénomène qu’il était réservé à notre civilisation de produire : le monstre lettré, homme ou femme, mille fois plus compliqué que Théroigne de Méricourt ou que Marat. Comment des intelligences cultivées, sensibles aux jouissances de l’art, aux raffinemens mêmes de l’esprit, ont-elles pu se porter à ces égaremens de la raison, à ces férocités? Il y aura là un sujet d’étude pour le physiologiste, l’aliéniste, aussi bien que pour le psychologue futur. On y démêle à la fois un phénomène morbide et un phénomène moral dont l’étude parallèle mérite d’être tentée. Ce sera un trait bien étrange de ce temps que le souvenir de ce voluptueux coquin en qui se mêlaient Fouquier-Tinville et le