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généraux allemands avaient, eux, suivie contre nous, de marcher au canon? Si, par une attaque à fond sur Pithiviers et le quartier-général du prince Frédéric-Charles, ce corps eût secondé notre attaque, cette diversion puissante n’eût-elle pas assuré notre succès? En tout cas, l’ennemi, sans les renforts qu’il avait reçus si à propos, aurait-il pu résister le 29 à un nouveau mouvement offensif? Ce jour-là, la jonction du 18e corps, retardé par sa lutte à Juranville le 28, nous assurait une supériorité numérique incontestable, surtout en artillerie, et n’était-ce pas un gage assuré de la victoire? La réponse à ces questions était impossible au moment où, suivis d’une avant-garde prussienne dont nous ignorions la force, nous nous repliions sur la forêt d’Orléans; mais cette réponse nous fut donnée bientôt dans un conseil de guerre tenu au château de Nibelles et par le général lui-même commandant le 15e corps.

Les paroles que nous allons répéter aussi textuellement que possible révèlent une méconnaissance trop profonde de la situation militaire à ce moment décisif de la campagne pour que nous ne citions pas les noms de quelques-uns de ceux qui les ont entendues comme nous, et qui ne peuvent les avoir oubliées. Ce sont, parmi tous les généraux et les chefs de service du 20e corps, ceux du général Crouzat, qui le commandait, du général Thorton, commandant de la 2e division, du colonel Vivenot, commandant la 2e brigade de cette division.

Le général Crouzat avait dit en substance : Le 20e corps, épuisé autant par ses longues marches et le dénûment où il a été laissé depuis la retraite des Vosges que par l’effort qu’il vient de faire à Beaune-la-Rolande, a besoin de quelques jours de repos. Depuis trois mois, les hommes ont fait tout ce que l’on peut exiger de leurs forces physiques et de leur dévoûment. Il n’est que temps de leur donner enfin ce qui leur manque, ce qui leur a toujours manqué : des souliers à beaucoup d’entre eux, à tous des guêtres, des cartouchières, des sacs, si on ne veut pas que, leur moral fléchissant sous tant d’efforts et tant de privations, ils se laissent aller à un découragement trop bien justifié. — Il lui fut répondu par le général des Pallières : «Les hommes sont ce qu’on les fait; le 15e corps, lui aussi, était à mon arrivée très mal organisé, sans ordre, sans discipline. En quinze jours, tout a changé, et, je le répète, si leur moral est aujourd’hui excellent, c’est que les hommes sont ce qu’on les fait. » À ces paroles peu flatteuses pour les généraux, ses égaux, à qui elles étaient adressées, à cette comparaison très mal venue entre deux corps, dont l’un avait toujours été en marche depuis trois mois, loin de tout centre d’approvisionnement, tandis que toutes les ressources de la France avaient été, sous l’œil