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journée devant Beaune-la-Rolande, que le 18e corps et son général avaient en cette journée bien mérité de la patrie, qu’en conséquence le colonel Billot était confirmé dans son grade de général ; mais déjà on savait à quoi s’en tenir sur ces proclamations, et pour nous la dictature de M. Gambetta n’était pas seulement la « dictature de l’incapacité, » suivant l’expression de M. Lanfrey, elle était surtout celle du mensonge officiel. Les actes parlaient du reste plus haut que toutes ces phrases de rhéteur creuses et sonores. Quarante-huit heures passées à nos anciens cantonnemens de Fréville, auprès de Bellegarde, avaient à peine donné le temps de rallier les traînards, qu’au bruit du canon ennemi, tonnant contre Saint-Loup-des-Vignes, nous nous mettions de nouveau en marche. Pour nous porter en avant ? Non certes, mais pour nous replier sur la forêt d’Orléans, vers Nesploy et Nibelles, et, pour mieux attester que nous reculions, notre marche ou mieux notre retraite s’effectuait, comme devant un ennemi victorieux lancé à notre poursuite, par brigades en échelons. Ainsi se confirmait dans tous les esprits la conviction de notre insuccès, ainsi allait grandissant le découragement de l’armée. Ce découragement, qui se traduisait par des actes d’indiscipline chez les soldats de certains bataillons de mobiles dont il est inutile de citer ici les noms, était partagé même par les meilleurs esprits, par ceux qui, se mettant au-dessus des incidens particuliers, se préoccupaient surtout de la situation générale de l’armée et de la France. C’était peut-être un défaut ; mais le nombre en était grand, on le conçoit, parmi ces jeunes hommes, intelligens, instruits, éclairés, qui dans les rangs de l’armée mobile faisaient en définitive la guerre en volontaires.

On connaissait mieux aux bivouacs de Nesploy et de Nibelles les péripéties changeantes de la lutte. Pour tous, il devenait évident que ce n’était pas seulement contre les maisons crénelées de Beaune-la-Rolande, contre ses fossés, contre ses barricades, que s’était brisé notre élan victorieux. Si nous avions reculé, c’était surtout devant les renforts qu’avaient reçus les Prussiens vers la fin de la journée. Comment deux divisions d’infanterie et les batteries d’artillerie nombreuses dont nous avions senti les coups redoutables quand, vers quatre heures, elles donnèrent à la résistance de l’ennemi une vigueur nouvelle, avaient-elles pu être détachées contre nous en présence du 15e corps ? Comment ce 15e corps, si nombreux, le plus aguerri, disait-on, et assurément le mieux équipé de toute l’armée, était-il resté dans l’inaction pendant toute la journée du 28 ? À défaut d’ordres précis, assurant l’ensemble des mouvemens de tous les corps, n’avait-il pas entendu notre canon, et n’est-ce pas une règle générale, que nul ne peut ignorer, que les