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ceptions et sous le poids de tant de charges accablantes, notre état militaire doive rester conforme à la grandeur de la France, on peut se fier là-dessus à M. Thiers, qui n’a point caché d’ailleurs qu’il ne fallait songer à aucune économie sur le budget de la guerre ; mais sur quelles bases sera fondé cet état ? Il est certain que le principe du service obligatoire pour tous s’impose invinciblement désormais ; il est unanimement admis dans la commission de l’assemblée, il est accepté par les généraux, par M. Thiers lui-même, qui, au premier moment, avait paru garder quelque doute et considérer comme suffisante la loi organique de 1832. Ce qu’il y a de plus évident, c’est que cette nécessité du service obligatoire, elle nous est jetée en quelque sorte à la tête par les événemens, par l’immensité d’un désastre dû en partie à l’insuffisance de nos moyens militaires. Dans quelle mesure et avec quels tempéramens ce principe sera-t-il appliqué ? Comment se combinera-t-il avec ce qui peut et doit survivre de cette loi de 1832, qui a été jusqu’ici la charte de l’armée, et qui en effet a suffi tant qu’on n’avait pas à combattre plus d’un million d’hommes ? De quelle façon réglera-t-on toutes ces questions de la durée du service actif, de la répartition des contingens, de l’organisation des réserves ? Ceci est l’affaire de l’habile collaborateur que M. Thiers s’est donné comme ministre de la guerre, du général de Cissey, et un peu aussi sans doute de M. le ministre des finances. Pour nous, ce que nous voyons, ce n’est pas seulement l’intérêt militaire, bien qu’il soit grand ; c’est aussi et surtout l’intérêt moral, social, c’est la nation tout entière sans distinction passant sous les armes, s’initiant par le service et par le dévoûment à la religion du drapeau, s’assouplissant aux devoirs sévères du patriotisme, contractant les habitudes de la discipline. On s’est assez moqué de la discipline, à ce qu’il paraît, et on en revient après en avoir porté la peine ; les avocats du radicalisme font eux-mêmes amende honorable. On sait ce qu’il en coûte de détruire l’esprit militaire, de se fier pour la défense du pays à cette belle institution de la garde nationale, qui, pour quelques services honorables que personne ne conteste, a été si souvent la plus ferme espérance de toutes les séditions. La nation armée, oui, mais la nation disciplinée sous les armes, voilà ce qu’il faut. L’heure est venue d’accomplir cette décisive et salutaire réforme qui peut refaire la France. Jusqu’ici, en présence des nécessités militaires du moment et des devoirs d’une répression gigantesque, il était difficile, on le conçoit, d’aborder de front une telle question. Désormais il n’y a plus de raison d’attendre. Le général de Cissey peut marcher, il sera suivi et appuyé. C’est la part du ministre de la guerre, et elle est assez belle, dans le programme de la régénération nationale.

Il ne faut pas que le pays puisse hésiter au moment d’entrer dans