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cause d’affaiblissement ou de confusion politique, que ces élections elles-mêmes, fussent-elles les meilleures du monde, ne seraient qu’un incident sans valeur, si on ne se servait de cette force nouvelle pour accomplir toutes les réformes dont Tinstinct public pressent la nécessité. Voilà bien souvent déjà qu’on nous répète dans des discussions parlementaires qu’il ne faut pas se laisser aller aux illusions. Évidemment nous sommes payés pour nous défendre des illusions, si tant est que nous puissions jamais arriver à nous en préserver, et M. Thiers avait spirituellement raison lorsque l’autre jour, à propos des finances et du crédit, il disait à l’assemblée, séduite par sa parole : « Il faudra que nous soyons bien sages, que nous n’aimions pas trop à nous reprocher les uns aux autres de vouloir telle chose ici, de vouloir telle autre chose là, que nous tâchions d’oublier ce que nous pourrons vouloir plus tard, et qu’aujourd’hui nous ne parlions que de ce que nous pouvons légitimement vouloir, de ce sur quoi nous sommes d’accord… Vous me comprenez, messieurs. Si nous avons cette sagesse, oh ! alors je suis convaincu qu’on sera bien heureux d’avoir de la rente française à 5 ½, 5 ¼, peut-être 5… » La rente à 5 pour 100, c’est le rétablissement de la France, c’est le symbole chiffré de l’œuvre à poursuivre aujourd’hui. Est-ce impossible ? Non, certes ce n’est point impossible ; mais, pour que le succès de cette œuvre de rénovation nationale soit assuré, il faut que tout le monde s’y prête, le gouvernement, l’assemblée, aussi bien que le public ; il faut oser mesurer sans parti-pris la force et la faiblesse d’une situation où il y a toutes les ressources à côlé de toutes les difficultés et de tous les périls. Cette sagesse dont parlait M. Thiers, elle consiste à écarter les périls, à vaincre les difficultés et à dégager les ressources d’une nation qui n’a jamais mieux montré ce qu’il y a toujours en elle de vitalité qu’aux heures des grandes épreuves qu’elle a si souvent traversées dans son histoire.

Une chose est frappante aujourd’hui en effet. Certes cette année qui s’achève maintenant aura été pour la France l’année la plus désastreuse, la plus cruelle qu’elle ait peut-être jamais connue. Tout ce qui peut atteindre un pays dans son orgueil, dans sa puissance, dans sa fortune, nous l’avons supporté depuis le 6 juillet 1870, date réelle de la funeste déclaration de guerre qui nous a conduits là où nous sommes. L’ennemi s’est répandu comme un torrent sur notre sol et nous a infligé toutes les misères de l’invasion. Les séditions, complices de l’ennemi extérieur, ont laissé la ruine et l’incendie dans la capitale de la France. Bref, nous sortons de l’effroyable crise avec une indemnité de 5 milliards à payer, avec deux provinces de moins, notre prestige national diminué, notre capitale flétrie par les malfaiteurs et les incendiaires, nos champs ravagés, notre industrie et notre commerce momentanément suspendus, toutes nos ressources dilapidées et gaspillées par la cupidité ou l’inex-