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grands yeux veloutés, qui ne traduit aucune passion, qui à peine a l’air d’une personne vivante.

Ce contraste entre les hommes, dont le geste est habituellement très prononcé, et les femmes, qui semblent ne participer en rien à la scène, est certainement un des défauts les plus choquans de l’école anglaise contemporaine. Je n’en voudrais pour preuve que le tableau, très estimable d’ailleurs, d’un artiste qui jouit ici d’une réputation méritée, M. Horsley. Le sujet, qui est intitulé Perdu et retrouvé, est une scène de l’enfant prodigue arrangée avec les costumes modernes. Le coupable, accroupi dans un coin et assailli déjà par les caresses turbulentes du chien de la maison, veut cacher son visage avec ses guenilles, et n’ose regarder en face son vieux père, qui s’élance vers lui les bras ouverts. L’émotion de ces deux personnages est exprimée avec une rare puissance, et serait vraiment communicative, si le vieillard n’était entouré d’une demi-douzaine de jeunes filles, toutes du même âge, toutes également jolies, qui viennent distraire l’esprit par l’insignifiance absolue de leurs physionomies. Ces inutiles comparses sont assurément les sœurs du malheureux enfant que son père reçoit avec tant d’effusion ; mais, si elles pensent à quelque chose, c’est peut-être aux petits gâteaux qu’elles prendront avec le thé : ce n’est à coup sûr ni à leur père, affolé de bonheur, ni à leur frère, écrasé sous le poids de sa honte.

La même observation peut s’appliquer à M. Faed, qui est certainement le meilleur peintre de genre que possède aujourd’hui l’Angleterre, celui qui se préoccupe le plus du charme et de la vérité du ton. Voici une scène de deuil : près du lit d’une morte est assis un ouvrier aux traits énergiques, dont les yeux, fixés sur celle qu’il a perdue, laissent échapper de grosses larmes. Deux petits enfans joufflus jouent à ses pieds sans songer à ce qui cause l’abattement profond de leur père. Voilà un contraste naturel, et qui, loin de nuire à l’expression du tableau, contribue à l’accentuer davantage ; mais quelles sont ces jeunes filles qui ont l’âge, le teint et la physionomie réglementaires? Elles ne sont pas de la famille, car elles seraient plus émues; ce ne sont pas non plus des voisines, elles montreraient au moins de la curiosité. Hélas ! ce ne sont que des modèles choisis pour leurs grands yeux, leur nez droit et la fraîcheur de leur teint. Le tableau cependant est peint d’une façon tout à fait remarquable, et M. Faed possède une maestria d’exécution qui le place bien au-dessus de ses confrères. Ces qualités lui sont personnelles, et les défauts qu’on lui reproche sont ceux de l’école à laquelle il appartient.

Nous ne pourrions, sans tomber toujours dans les mêmes redites, nous arrêter longtemps sur les tableaux de l’exposition britannique;