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active, une faible proportion d’oxygène leur suffit; mais d’autre part l’acide carbonique constamment exhalé par eux devrait à la longue, en s’accumulant, leur rendre l’entretien de la vie impossible. Les sondages du Porcupine et l’analyse des gaz que renferment les eaux de l’Atlantique ont effectivement démontré que la proportion de l’oxygène était d’autant moindre que l’on descendait plus bas dans la mer; la quantité d’azote diminue également, tandis que celle de l’acide carbonique augmente de plus en plus. La proportion de ce dernier gaz, inférieure à la surface à celle de l’oxygène, la dépasse dans la zone intermédiaire, et à 800 ou 900 brasses le changement est tel, que la quantité d’acide carbonique égale presque la somme de l’oxygène et de l’azote réunis. L’oxygène ne compte plus alors que pour moins d’un cinquième dans l’ensemble[1]. L’acide carbonique, ainsi qu’on pouvait le présumer, abonde toujours plus dans l’eau des fonds, surtout de ceux où la vie se trouve richement représentée, que dans les zones purement aquatiques, fussent-elles situées plus profondément. Il est certain que l’acide carbonique, à force d’être exhalé, étoufferait la vie sous-marine, si, par un double mouvement, ce gaz ne remontait peu à peu à la surface, tandis que les courans et l’impulsion générale des flots, dont nous avons tracé la marche, amènent sans cesse des eaux saturées d’oxygène qui renouvellent la précieuse provision. C’est donc en définitive à l’agitation des eaux superficielles qu’est due l’introduction incessante de l’oxygène au fond de la mer. Les vagues, en se soulevant et faisant bouillonner leurs flots, contribuent puissamment à l’aération des eaux, et ces eaux, en suivant l’impulsion qui les entraîne vers les profondeurs, vont ensuite vivifier les êtres qui y restent plongés.

Telle est la solution plausible et le dernier mot d’un état de choses dont l’existence ne se comprend qu’à peine au premier abord. L’air et la nourriture se trouvent par le fait libéralement dispensés à des populations que leur extrême éloignement avait jusqu’ici soustraites à notre attention. Les animaux que nous venons de signaler n’offrent pourtant rien d’étrange, de tout à fait spécial dans leur structure, ni dans leur forme. La plupart diffèrent peu de ceux-là mêmes qui fréquentent nos côtes; d’autres, il est vrai, sont des types d’une époque antérieure disparus ou devenus très rares partout ailleurs, et qui semblent avoir cherché un refuge au fond des mers. Tous ces êtres, si singulièrement associés, les uns venus de l’extrême nord, les autres remontés du midi, ou

  1. La proportion sur 100 parties est la suivante : oxygène, 17,2; — azote, 34,5; — acide carbonique, 48,3.