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torieux de nos troupes s’arrête brisé. Cependant chaque maison, chaque pan de mur, chaque arbre devient un point d’attaque derrière lequel se massent nos soldats, prêts à s’élancer par la première brèche que leur ouvrira l’artillerie. Un moment l’intrépide commandant de Verdière, chef d’état-major de la 2e division, croit une des rues abandonnée par l’ennemi. Faisant franchir par un bond énorme à son cheval les obstacles qui en ferment l’accès, il y pénètre, et la parcourt dans presque toute sa longueur, sans essuyer un coup de feu. Revenant alors sur ses pas, il appelle à lui les soldats voisins, zouaves du 3e régiment, mobiles des Deux-Sèvres, de la Savoie et du Haut-Rhin, francs-tireurs de Keller, et en forme une colonne d’assaut. Lui-même, suivi du colonel Rougé, du commandant Dubois, la guide à l’attaque. Soudain, à 20 mètres du fossé extérieur, une décharge meurtrière, véritable ouragan de plomb et de fer, part de ces maisons naguère silencieuses et en apparence abandonnées. Le commandant de Verdière échappe comme par miracle; le colonel Rougé, le commandant Dubois, ont leurs chevaux tués, et se relèvent avec peine. Tous néanmoins restent prêts à recommencer leur héroïque tentative à ce poste périlleux, où ils reçoivent les félicitations du général en chef, accouru de sa personne pour seconder leurs efforts. Jusqu’au soir, la lutte se continue aussi ardente, aussi acharnée.

Ces épisodes de cette sanglante affaire montrent quelles furent la persévérance, la bravoure de nos soldats et de nos officiers. Dans tous les corps, partout, ils se montrèrent dignes les uns des autres, et pourtant non-seulement Beaune-la-Rolande ne fut pas occupée par nos troupes, non-seulement nous n’enlevâmes pas un canon à l’ennemi, mais encore, devant les renforts qu’il reçut de Pithiviers, et qui à quatre heures faisaient leur apparition sur le champ de bataille, l’armée française recula jusqu’à Bellegarde et à Boiscommun. Or une retraite jette toujours du trouble dans l’esprit des soldats, même les plus aguerris. Pour nos mobiles inexpérimentés, qui presque tous venaient de faire leurs premières armes, qui avaient eu ou qui croyaient avoir eu l’affaire décisive longtemps attendue, à en juger par leurs sanglans efforts et les 3,000 hommes mis hors de combat et laissés sur le champ de bataille, ce fut plus que du trouble, ce fut le découragement qui, pour un moment du moins, s’empara de leur esprit sous l’impression de la retraite. D’autres causes d’ailleurs, toutes particulières à notre armée, résultant de sa composition elle-même, aidèrent activement à cette désespérance générale; nous essaierons de les préciser.

On a vu l’attitude héroïque des bataillons du Haut-Rhin. Ce brave régiment, comme tous ceux qui ne se ménagent pas au feu.