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filets d’argent, intarissables comme les pluies qui les alimentent, des sources limpides s’épanchent de tous côtés et vont se réunir dans le fond des vallées, occupées par des lacs poissonneux et de vastes tourbières. Ces tourbières, ressources précieuses dans un pays dépourvu de bois, recèlent le secret des anciens âges; les troncs de très grands arbres y abondent, et démontrent que le climat de ces îles n’a pas toujours été aussi défavorable à la végétation forestière. D’ailleurs d’innombrables troupes d’oiseaux, la plupart aquatiques, couvrent les roches de la plage, tandis que le hareng, la morue, le maquereau, les phoques et même les baleines peuplent la mer. La vie animale trouve dans ces régions, où languit l’autre règne, des conditions assez favorables; il est vrai qu’il n’existe pas dans toute l’Europe de climat dont les écarts soient moins prononcés. La température de la surface océanique se maintient partout sans variations bien sensibles à 52° F.[1] (11° c). Une élévation si constante aurait lieu de surprendre à une aussi faible distance des glaces polaires, si la cause n’en était pas maintenant bien connue. C’est vainement que pour trouver une explication on a été jusqu’à invoquer l’action des feux souterrains; le gulf-stream donne la clé du phénomène. C’est lui qui pousse sur les côtes de ces îles des fruits et des bois flottés venus des parties chaudes de l’Amérique. Les produits des Antilles se mêlent ainsi aux grandes algues des mers du nord, fucus et laminaires, que le mouvement des flots rejette sur la plage, et que les habitans recueillent sous le nom de varech et de goëmon pour en retirer de la soude par la combustion.

Le gulf-stream a été récemment l’objet d’une série de recherches spéciales, exécutées sous la direction du docteur A.-D. Bache, par le coast-survey ou commission chargée du relevé général des côtes de l’Union américaine[2]. Parti des régions équatoriales et dirigé d’abord vers l’ouest, le gulf-stream pénètre ensuite dans la mer du Mexique, où il continue à s’échauffer. Il en sort en longeant la Floride et rentre dans l’Atlantique; il remonte alors vers le nord en marchant parallèlement à la côte américaine, dont il ne commence à s’écarter qu’à la hauteur du New-Jersey, pour se détourner du côté de l’est; mais, depuis le détroit de la Floride, où il se trouve resserré entre cette presqu’île et l’archipel de Bahama, jus-

  1. Le thermomètre de Fahrenheit, dont se servent les Anglais, s’écarte totalement de notre thermomètre centigrade; il a été gradué d’après des bases différentes. Le point correspondant à la glace fondante équivaut au 32° degré de Fahrenheit-, c’est le degré de l’échelle centigrade. Nous avons eu soin, en mentionnant les degrés Fahrenheit, de les convertir en degrés centigrades et de placer ceux-ci entre parenthèses.
  2. Les résultats en ont été consignés dans l’immense travail hydrographique intitulé United States coast-survey Report, 1800. — Plusieurs mémoires importans de MM. Pourtalès et Louis Agassiz se rapportent au même sujet.