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mense, l’image de l’infini et de la solitude, que les femmes troyennes considèrent en pleurant :

….. Cunctœque profundum
Pontum adtepectalbant fientes…..

En effet, quoi de plus triste que cet entassement d’eaux accumulées sur d’autres eaux? Tout ce qui charme ici-bas, la lumière et le son, s’efface rapidement à mesure que l’on s’enfonce dans l’océan, « Les teintes d’azur de la surface, dit un auteur récent, font bientôt place à une lumière douce et uniforme, on pénètre par degrés dans un crépuscule rougeâtre et terne; les couleurs se fondent, s’assombrissent, et l’on arrive finalement à la nuit[1]. » Quelle que soit la limpidité exceptionnelle de certaines mers, on convient généralement qu’à 300 mètres environ l’obscurité est complète. De tout temps, les hommes ont cependant essayé d’aborder ces ténèbres, poussés soit par le lucre, soit par esprit d’audace. Le métier de plongeur est un de ceux qui exigent le plus d’adresse et entraînent le plus de dangers; la cloche à plongeur permet cependant de séjourner assez longtemps sur un point donné du fond des eaux. De nos jours, on a inventé le scaphandre, sorte de vêtement imperméable qui laisse la liberté des mouvemens, tandis que les yeux perçoivent la lumière à travers des verres solidement enchâssés dans un masque, et que l’air est transmis au moyen d’un tube. Toutes ces manœuvres, efficaces lorsqu’il s’agit d’accomplir certains travaux d’exploration et de sauvetage, témoignent certainement de la hardiesse de l’homme; mais ce n’est point par elles que nous apprendrons quelque chose sur le monde qui se cache au fond de la mer. Rien n’autorise à supposer que l’homme réussisse jamais à s’y introduire, seulement il a su employer des procédés indirects pour y parvenir; la sonde et la drague ne sont que des mains prolongées obéissant à l’impulsion qu’ion leur imprime. Intelligemment dirigées, elles vont glaner des renseignemens, recueillir des objets vivans ou inanimés, et nous instruisent sur l’état de ces régions inaccessibles. Tous les navires se servent de la sonde pour savoir sur quelle nature de fond ils se trouvent; mais à côté de cet usage journalier il en est un autre auquel cet instrument a été plus rarement appliqué d’une façon suivie et sur une grande échelle, c’est à la recherche du monde sous-marin. Ce monde, comme le nôtre, possède des conditions de climat et de température, des particularités physiques et biologiques. Les lois qui le gouvernent à ces divers points de vue méritent d’autant plus notre attention qu’il s’agit d’un milieu très différent du nôtre. Nous ne saurions avoir la pensée de résumer tout ce qui a été fait dans ces derniers temps pour

  1. Le Monde de la Mer, par M. Alfred Frédol.