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RECITS D’UN SOLDAT[1]

UNE ARMEE PRISONNIERE.

Au mois de juillet 1870, j’achevais la troisième année de mes études à l’École centrale des arts et manufactures. C’était le moment où la guerre qui allait être déclarée remplissait Paris de tumulte et de bruit. Dans nos théâtres, tout un peuple fouetté par les excitations d’une partie de la presse écoutait debout, en le couvrant d’applaudissemens frénétiques, le refrain terrible de cette Marseillaise qui devait nous mener à tant de désastres. Des régimens passaient sur les boulevards, accompagnés par les clameurs de milliers d’oisifs qui croyaient qu’on gagnait des batailles avec des cris. La ritournelle de la chanson des Girondins se promenait par les rues, psalmodiée par la voix des gavroches. Cette agitation factice pouvait faire supposer à un observateur inattentif que la grande ville désirait, appelait la guerre; le gouvernement, qui voulait être trompé, s’y trompa.

Un décret appela au service la garde mobile de l’empire, cette même garde mobile que le mauvais vouloir des soldats qui la composaient, ajouté à l’opposition aveugle et tenace de la gauche, semblaient condamner à un éternel repos. En un jour, elle passa du sommeil des cartons à la vie agitée des camps, L’Ecole centrale se

  1. Les pages qu’on va lire sont extraites d’un cahier de notes écrites par un engagé volontaire. Il n’y faut point chercher de graves études sur les causes qui ont amené les désastres sous lesquels notre pays a failli succomber, ni de longues dissertations sur les fautes commises. Non; c’est ici le récit d’un soldat qui raconte simplement ce qu’il a vu, ce qu’il a fait, ce qu’il a senti, au milieu de ces armées s’écroulant dans un abîme. À ce point de vue, ces souvenirs, qui ont au moins le mérite de la sincérité, ont leur intérêt; c’est un nouveau chapitre de l’histoire de cette funeste guerre de 1870 que nous offrons aux lecteurs de la Revue.