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ques. Cette tactique ne pouvait être plus sûrement déjouée que par l’hostilité persistante que leur témoignaient des journaux aussi opposés qu’eux à toute tentative de restauration, aussi peu suspects de partialité pour la majorité royaliste de l’assemblée nationale. Ces journaux se faisaient lire d’une foule de républicains dont le fanatisme inclinai ’vers l’insurrection; ils les retenaient sur cette pente, moins encore en flétrissant les excès de la commune qu’en mettant à néant les récits mensongers par lesquels elle entretenait les illusions de ses défenseurs. Il ne faudrait pas oublier de tels services, lors même qu’ils auraient été rendus sans péril. Or le péril a toujours été au moins aussi grand pour les organes des opinions républicaines que pour ceux des opinions monarchiques. Les persécutions contre la presse depuis le 18 mars ont été assez capricieuses, et il serait difficile d’expliquer pourquoi certains journaux ont été supprimés dès le début, tandis que d’autres, non moins hostiles, ont vécu jusqu’à la fin de mai: mais ces caprices mêmes d’une tyrannie en démence ont affecté une sorte d’impartialité. S’il y a eu des différences dans les traitemens infligés, elles montrent de quel côté la critique était la plus odieuse; presque tous les journalistes emprisonnés ou menacés d’emprisonnement et le seul journaliste mis à mort appartenaient au parti républicain.

Après les journaux qui pouvaient détourner de sa cause les républicains de Paris, la commune redoutait surtout ceux dont l’influence lui aliénait l’opinion publique à l’étranger. Une de ses plus étranges prétentions était d’être bien avec les peuples et même avec les puissances. Elle avait un « délégué aux relations extérieures » qui annonçait son avènement à l’Europe et au monde. Elle se faisait traduire les journaux étrangers, et les journaux français qui se lisaient le plus au dehors étaient particulièrement l’objet de sa surveillance. Aussi le Journal des Débats est un des premiers qu’elle ait supprimés, et la Revue des Deux Mondes ne fut pas plus épargnée. On recula longtemps toutefois devant la suppression de la Revue. On se flatta d’intimider un recueil dont l’hostilité était d’autant plus désagréable que ses coups, bien que se répétant à des intervalles plus éloignés et gardant un caractère plus général que ceux de la presse quotidienne, portaient plus loin, et laissaient des traces plus profondes. Un de ses rédacteurs, coupable d’avoir témoigné son mépris de la commune dans une étude historique dont elle faisait la conclusion plutôt que le fond, fut amené, en vertu d’un mandat d’arrêt, devant un haut fonctionnaire de « l’ex-préfecture de police. » Des explications qui lui furent données et que lui confirma quelques jours plus tard un intermédiaire officieux, il résultait qu’on ne voulait prendre à son égard qu’une mesure de précaution (tel fut l’euphémisme dont on se servit). On avait saisi ses