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qui se laissèrent tromper par l’apparence d’un acte régulier, étaient réduits à voter en aveugles. Le temps manquait pour arrêter et pour publier des listes sur lesquelles pût se faire l’accord de tous les hommes d’ordre. Il était permis tout au plus, comme l’événement le prouva, d’espérer quelques choix passables qui ne pouvaient, par suite de leur petit nombre, qu’aboutir à autant de démissions. Le champ devait rester libre aux élus de l’insurrection, et l’acceptation du vote semblait leur donner la consécration d’une sorte de droit.

Faut-il donc blâmer ceux qui avaient pris en main les intérêts de Paris d’avoir reculé devant la guerre civile, et, en se résignant à une capitulation nécessaire, d’avoir cherché à en adoucir l’amertume pour la population généreuse dont ils avaient encouragé les efforts? Ils pouvaient, ils devaient peut-être subir pour leur compte les élections; il ne leur appartenait pas de les autoriser, ils étaient surtout inexcusables de les ordonner en laissant mettre leurs signatures à la suite de celles du comité central. Ils devaient abandonner à la conscience de chacun le parti à prendre, soit l’abstention par respect scrupuleux du droit, soit le vote en vue d’atténuer autant que possible la tyrannie que ces élections irrégulières allaient faire peser sur Paris. Ils ne devaient pas moins ne laisser aucun doute dans l’esprit des électeurs sur le caractère illégal du conseil qu’il s’agissait d’élire. Ceux d’entre eux qui se sont abstenus ont compris ainsi leur devoir, les autres ont été coupables; mais il convient d’ajouter qu’ils ne l’ont pas été au même degré. On peut suspecter les intentions de ceux qui ont siégé à la commune, ou qui ont pris part sous son règne à des actes manifestement factieux; la sévérité serait injuste à l’égard de ceux qui avaient donné auparavant et qui ont continué à donner des gages assurés de leur fidélité à l’ordre. C’est surtout pour une crise comme celle-ci qu’il est vrai de dire avec un penseur éminent que « le difficile n’est pas de faire son devoir par les temps d’épreuves civiles, mais de le connaître. » Qui n’a jamais failli avant et après le 18 mars? Paris en somme n’a pas à rougir du rôle qu’ont joué jusqu’à ces tristes élections quelques-uns de ceux qu’il avait élus pour l’administrer ou pour le représenter, et l’assemblée a été sage de les désavouer sans les condamner. Dès le 13 mars, dans la dernière réunion des maires au ministère de l’intérieur, l’un d’eux demandait formellement que le soir même le comité central fût dissous et ses membres arrêtés. Cet acte de vigueur parut prématuré; il était moins imprudent que celui qui, cinq jours plus tard, devait avoir une si funeste issue. Si Paris a conservé pendant huit jours des autorités légales, il ne le doit qu’à ses élus. Les municipalités se tiennent en permanence soit dans leurs mairies respectives, soit, quand elles en ont été expulsées, dans celle du 2e arrondissement. Par leurs soins, des affiches partout apposées