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matière politique tient lieu de droit pour une foule d’esprits d’une honnêteté scrupuleuse dans la vie privée. D’autres moyens de séduction venaient encore en aide aux vainqueurs du 18 mars. Les habitudes d’obéissance et surtout la question de la solde ramenaient dans les rangs de la garde nationale rebelle bon nombre d’ouvriers paisibles restés jusque-là étrangers au mouvement, mais dont le sens moral n’était ni assez éclairé, ni assez ferme pour refuser de se soumettre aux seules autorités de qui ils pussent désormais recevoir des ordres et attendre leur subsistance. Aux adhérens par indifférence, par ignorance ou par besoin, se joignaient ceux que leurs passions ou leurs idées politiques rapprochaient de l’insurrection triomphante. Beaucoup qui n’auraient pas voulu renverser l’ordre légal craignaient maintenant qu’il ne pût être rétabli qu’aux dépens de la république : ils se ralliaient aux vainqueurs du jour par crainte des vainqueurs du lendemain. D’autres se laissaient séduire par cette idée, si libérale en elle-même, d’un conseil municipal élu : pourquoi repousser une révolution dont le premier et le seul acte officiel était de faire rentrer Paris dans le droit commun ? Les libertés municipales sont moins chères aux Parisiens que ne le prétend l’esprit de parti. Une population qui comprend des élémens aussi divers et aussi incohérens ne saurait former une véritable commune, dans le sens légal, non dans le sens révolutionnaire du mot; aussi toutes ses aspirations vont beaucoup plus à régner sur la France et sur le monde qu’à se gouverner elle-même. L’esprit français est toutefois trop logique, l’expérience de l’administration impériale était trop concluante, pour que chacun ne comprît pas ce qu’il y avait d’injuste et de funeste dans la situation d’une grande ville privée de tout droit de contrôle sur ses intérêts propres. Quelques esprits, qui ne manquaient ni de patriotisme, ni de lumière, n’étaient pas éloignés d’accueillir, en la dépouillant de son exagération, une autre idée qui se présentait dès lors comme le programme de la république nouvelle : celle d’une décentralisation municipale qui attribuerait aux communes, pour toutes les affaires municipales, une autonomie complète, et qui ne laisserait au gouvernement central que le soin des intérêts les plus généraux. C’était, comme on le rappelait dernièrement ici[1], le renversement de toute la tradition révolutionnaire; mais une telle volte-face ne scandalisait pas la masse du parti révolutionnaire, moins fidèle à ses principes qu’au besoin de destruction, et les naïfs, dans les autres partis, étaient tentés d’y applaudir comme à un retour aux idées vraiment libérales.

  1. Voyez la Revue du 15 juin.