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peau. On ne parlait pas davantage de ces libertés municipales où l’insurrection, une fois maîtresse de Paris, devait chercher sa justification et un prétexte pour s’étendre dans toute la France. Le seul droit un peu précis qui fût revendiqué avec quelque insistance était l’élection du général en chef de la garde nationale, et l’on tenait si peu à ce prétendu droit qu’il n’en fut plus question après la victoire. Jamais cependant on n’avait plus parlé de guerre civile; mais ceux même qui annonçaient de nouvelles journées de juin comme une éventualité menaçante avaient peine à y croire, et répugnaient encore plus à s’y préparer. La haine de l’ennemi vainqueur avait épuisé tout ce qu’il y avait de fiel dans les âmes honnêtes, l’émulation dans la résistance, la prévoyance et l’initiative dont elles étaient susceptibles. Elles revenaient à leurs plus fâcheuses comme à leurs meilleures habitudes, parce que cela seul ne demandait aucun effort. Elles ne se refusaient pas, mais elles ne se portaient pas d’elles-mêmes à des résolutions efficaces : elles avaient besoin d’une vigoureuse impulsion, que les plus sages attendaient, que quelques ardens réclamaient avec instance, et qu’eussent suivie sans trop d’hésitation, pour peu qu’on eût pris soin de les réveiller, beaucoup de ceux qui s’endormaient dans une funeste confiance. L’isolement du gouvernement dans ces tristes jours n’est pas venu de l’abandon où l’ont laissé les hommes d’ordre, il est venu du peu d’efforts qu’il a faits pour les grouper autour de lui, pour les éclairer sur leurs dangers comme sur les siens, et pour s’assurer sous une forme précise le concours de toutes les bonnes volontés que les souffrances et les déceptions du siège n’avaient pas lassées.

De là le contraste entre la garde nationale du désordre et la garde nationale de l’ordre. Dans Tune, la passion s’unissait à l’intérêt pour rechercher le service, pour en provoquer au besoin les occasions. On en vivait, ou s’en amusait, on en faisait une base d’opérations contre la société qui le payait. Dans l’autre, un intérêt contraire s’unissait à l’absence de passion pour fuir des devoirs qui n’apparaissaient plus depuis la paix que par leur caractère rebutant. Les ouvriers honnêtes n’attendaient pour s’y soustraire que la reprise du travail. Les bourgeois n’y voyaient que leurs affaires ou leurs études troublées et leur santé compromise sans compensation. Les désagrémens les plus pénibles se faisaient gaîment supporter quand on était soutenu par l’ardeur patriotique; ils étaient devenus intolérables dès qu’il ne s’agissait plus que d’une mission de police. La convocation quotidienne d’un tiers de la garde nationale ne faisait que des mécontens dans les bataillons les mieux disposés : on comprenait d’autant moins la nécessité de ce déploiement de forces qu’il imposait à ceux qui s’y prêtaient les plus rudes fatigues sans que leur zèle fût mis sérieusement à profit pour le main-