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réunion ; ils ne sont pas accoutumés aux élections professionnelles. L’organisation normale des classes laborieuses est encore à l’état rudimentaire, et l’on ne doit pas s’en étonner, puisque le but de notre législation, depuis 1789 jusqu’à ces dernières années, semble avoir été d’empêcher par tous les moyens possibles l’union et le concert des ouvriers. Les lois contre les coalitions et les lois prohibitives du droit de réunion n’ont été abrogées, les unes qu’en 1864, les autres qu’en 1868. Auparavant les ouvriers ne pouvaient point se réunir. Par tolérance, l’administration leur laissait parfois tenir des réunions où les questions professionnelles devaient être exclusivement agitées ; mais les tolérances de l’administration étaient capricieuses, et les ouvriers, mus par un sentiment facile à comprendre, n’aimaient pas à y recourir. Aussi les seules sociétés ouvrières vraiment vivantes et actives étaient des sociétés plus ou moins secrètes, affiliées aux sociétés étrangères, et s’occupant plus des questions générales de la politique et de l’état social que des intérêts pratiques professionnels. Ceux-ci, par suite du manque d’organisation, étaient très négligés. C’est ainsi qu’on a toujours vu aux élections des prud’hommes les abstentions beaucoup plus nombreuses que les votes, et, sur des milliers d’électeurs inscrits, quelques centaines seulement apporter leurs suffrages.

Aujourd’hui cet état de choses s’est modifié déjà, et dans peu de temps le changement sera sans doute considérable. Plusieurs faits se sont produits qui méritent l’attention. Depuis deux années, la liberté des coalitions et des réunions est accordée, et, quoique l’état puisse encore s’armer de l’article 291 du code pénal et de la loi du 10 avril 1834 pour interdire les associations de plus de vingt personnes, ces dispositions légales n’étaient presque plus appliquées par le gouvernement déchu. L’empire avait à maintes reprises déclaré qu’il laisserait les ouvriers s’assembler pour discuter librement les intérêts de leur profession, et par extension les intérêts généraux de la classe laborieuse. Il avait même favorisé et encouragé les réunions de ce genre. C’est ainsi qu’en 1862 et 1867, il demandait aux ouvriers d’élire des délégués aux expositions de Londres et de Paris, et qu’il donnait aux délégués toutes les facilités possibles pour délibérer en commun sur les questions intéressant l’industrie, afin de présenter des vœux collectifs sur les réformes à y introduire[1].

  1. Des réunions de délégués ouvriers ont eu lieu à Londres en 1862, et à Paris en 1867. Les résultats de leurs discussions ont été consignés dans les recueils suivans, qui offrent un grand intérêt par l’énergie des réclamations qu’ils renferment et par la netteté avec laquelle ces réclamations sont formulées. — Rapports des délégués des ouvriers parisiens à l’Exposition de Londres en 1862. — Rapports des délégations ouvrières à l’Exposition universelle de 1867. — Commission ouvrière de 1867, Recueil des procès-verbaux des assemblées générales des délégués.