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dînèrent ensemble, à la Tour, et le 8 juillet le roi Jean débarquait à Calais, où Edouard s’était rendu en même temps que lui. Les actes complémentaires furent signés ou approuvés. D’autres furent renvoyés à un an de date, et le 14 juillet le dauphin vint rendre visite à son père ; puis le 24 juillet l’abbé de Clugny célébra la messe en présence des deux rois, de leur nombreuse famille et de plus de cent barons des deux peuples. Quand le prêtre arriva au troisième Agnus Dei, à ces mots : dona nobis pacem, les deux rois s’agenouillèrent au pied de l’autel, où, l’abbé se tournant vers eux, l’hostie consacrée à la main, les deux princes jurèrent sur le corps du Christ d’observer religieusement le traité convenu. Après quoi, l’abbé brisa l’hostie et en communia les deux rois. Il leur présenta les saints évangiles, et, la main levée, les souverains jurèrent encore l’observation du traité. Après les rois, leurs fils répétèrent le même serment, ainsi que les barons, auxquels se joignirent, selon Villani, Philippe de Navarre au nom du roi Charles son frère, le comte de Flandres, qui fit sa paix avec le roi Jean, et le duc de Lancastre, qui prêta hommage pour ses terres de Champagne. Les publications solennelles et simultanées dans les deux royaumes furent remises au 24 octobre. L’Angleterre avait été chevaleresque avec son royal prisonnier ; mais, advenant le règlement de compte, elle traita de Turc à More avec lui. Les pièces de Rymer sont on ne peut plus curieuses à cet égard. Ce fut le 28 octobre que le roi Jean quitta Calais. Il avait payé les 400,000 écus. Trois mois lui avaient été nécessaires pour y pourvoir ; mais comment ? C’est ici qu’il faut laisser la parole à Villani lui-même. « Qui aurait pu naguère imaginer, dit-il[1], en considérant la grandeur de la couronne de France, que, par les attaques du roi d’Angleterre, si petit en comparaison du souverain de France, celui-ci serait réduit à cette extrémité de vendre en quelque sorte à l’encan sa propre chair ? » En effet, le chroniqueur malin, nourri des petites passions municipales de l’Italie, nous apprend que Galéas Visconti, seigneur de Milan, vaniteux marchand d’or, et recherchant une grande alliance pour assurer et ennoblir sa domination contestée, fournit au roi Jean la somme qu’il lui fallait en échange de la main d’Isabelle de France pour Jean Visconti, fils de Galéas. Les deux fiancés n’ayant pas l’âge nubile, la célébration dut être remise, ce qui n’empêcha pas les Visconti d’en faire la fête à Milan avec une magnificence inouïe. De ce mariage naquit Valentine de Milan.

Je ne décrirai point les tristesses et les joies du retour du roi

  1. “ Chi harebbe per lo passato, considrrato la grandessa della corona de Francia, potesto immaginare che, per li assalti del piccolo re d’Inghilterra in comperatione del re di Francia, fusse a tanto ridotta, che quasi com’ all’ incanto la propria carne vendesse ? » — M. Villani, IX, 93.