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se tenoient devers le régent leur droit seigneur, et autres se tenoient devers Paris. » En cette extrémité, le régent se disposait à faire le siège de la ville rebelle. À la vue de ce péril, les communeux du xive siècle n’imaginèrent point, comme les communeux du xixe de mettre le feu à Paris plutôt que de l’abandonner à leurs adversaires ; mais ils suscitèrent un instrument de destruction tout aussi fatal à leur pays. Au xixe siècle, d’atroces insensés ont rêvé l’incendie des villes ; en 1357, ils ont provoqué dans les campagnes la jacquerie et ses horreurs. Ce fut le complément des calamités. La terreur fut universelle : rien ne manquait aux malheurs du pays. Les débris des armées dispersées infestaient les routes ; la famine s’ajoutait au brigandage. La sûreté, ce premier bienfait de la vie sociale, semblait avoir disparu de la terre ; on se crut à la fin du monde. En 1350, les députés des villes étaient loin d’aspirer au gouvernement de l’état. La conservation de leurs libertés municipales, quelques garanties contre l’excès de l’impôt, le contrôle de l’emploi des deniers publics et l’amélioration des procédés judiciaires étaient toute leur ambition ; puis, l’habitude de la délibération publique enflammant les entrepreneurs d’agitation, et les périls de l’état devenant plus pressans, la division des esprits, la passion des partis, le croisement des intérêts politiques, provoquèrent, par une progression fatale d’idées subversives, a renverser les bases de la souveraineté, à substituer un des pouvoirs à tous les autres, à détruire leur équilibre séculaire, enfin à l’usurpation par une ville présomptueuse des droits de toutes les villes et de tous les autres corps de l’état. Paris se crut le souverain légitime de la France ; mais la France ne voulut pas de son despotisme. Ce fut une lutte lamentable dont se réjouirent les Anglais ; elle assurait leur triomphe,

On appelle du nom de Jacquerie, dans notre histoire, le soulèvement des paysans contre la noblesse des châteaux et des villes, de 1357 à 1358. Presque le même jour et dans différentes provinces, les paysans se jetèrent à l’improviste sur les nobles, les massacrèrent avec femmes et enfans, et portèrent la barbarie à des excès incroyables. Les prétextes de ce soulèvement ont été divers. En un endroit, les paysans, hors d’état de se défendre contre le brigandage des routiers, s’en prirent aux seigneurs, qui, disaient-ils, auraient dû les défendre, entrèrent en fureur, et se vengèrent sur les nobles des maux dont ils étaient victimes ; en d’autres localités, les paysans, se disant pressurés sans merci par les barons, conspirèrent pour prendre une revanche des exactions seigneuriales. C’est la double cause que le continuateur de Nangis, leur défenseur, assigne à leur révolte. Qu’ils aient été provoqués en secret par des excitations étrangères, on n’en saurait douter. L’exécution fut l’œuvre d’une grossière perversité, triste cortège de l’ignorance, de la misère, de