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vez, et dont vous pourrez profiter quand l’occasion s’en présentera. Autre chose encore, citoyens : si aujourd’hui vous me perdez, il ne vous reste personne de notre famille ; mais elle est détruite jusqu’au dernier rejeton, et pourtant ce n’est pas un opprobre pour la cité que de voir subsister la maison d’Andocide et de Léogoras. Ce qui en était plutôt un, c’était que pendant mon exil leur demeure fût habitée par Cléophon le luthier, car il n’y en a pas un d’entre vous à qui jamais, quand il passait devant notre porte, cette vue ait rappelé quelque mal que la cité ou lui auraient eu à souffrir de ces hommes, mes ancêtres, qui, ayant bien des fois été généraux, vous ont rapporté beaucoup de trophées pris sur l’ennemi dans des combats de terre ou de mer, qui, ayant exercé beaucoup d’autres magistratures et ayant manié vos fonds, n’ont jamais été frappés d’une amende… S’ils sont morts, ce n’est point une raison pour que vous oubliiez toutes leurs grandes actions ; souvenez-vous plutôt de ce qu’ils ont fait, et figurez-vous les voir en personne, qui vous supplient de me sauver. Qui pourrais-je en effet appeler à la barre pour vous implorer en ma faveur ? Mon père ? Il est mort. Mes frères ? Je n’en ai pas. Mes enfans ? Il ne m’en est pas encore né. Vous donc, tenez-moi lieu de père, de frères et d’enfans ; c’est auprès de vous que je cherche un refuge, c’est vous que j’invoque et que je supplie ; c’est à vous de solliciter et d’obtenir de vous-mêmes mon salut. N’allez point, par manque d’hommes, faire citoyens des Thessaliens et des Andriens, tandis que ceux qui sont, de l’aveu de tous, citoyens d’Athènes, ceux auxquels il sied d’être gens de cœur, et qui le pourront être parce qu’ils le veulent, ceux-là vous les perdriez… Ne trompez donc ni les espérances que vous pouvez placer en moi, ni celles que je place en vous. Je n’ai plus qu’à prier ceux qui vous ont donné à tous, tant que vous êtes, tout récemment des preuves de leur haute vertu, de monter à cette barre et de vous parler pour moi, de vous dire ce qu’ils savent de ma personne. Venez ici, Anytos, Képhalos, puis les membres de ma tribu qui ont été choisis pour m’appuyer devant le tribunal, Thrasylle et les autres. »

Toute cette péroraison, même dans une traduction, qui l’allonge et l’affaiblit, n’a-t-elle pas un accent sincère et pénétrant, qui est d’un véritable orateur ? N’y sent-on pas bien avec quel frémissement intérieur, avec quelle profonde émotion Andocide soutenait ce combat dont l’issue devait décider s’il retournerait une quatrième fois en exil, ou s’il vivrait libre et honoré dans la patrie qu’il avait tant regrettée ?

Le discours a d’ailleurs des défauts assez sensibles. Andocide s’est bien tracé un plan, qu’il nous indique dès le début, et auquel il demeure assez fidèle ; mais les diverses parties du plaidoyer ne sont