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la vie ; tels sont le résumé de la déposition faite par Dioclidès et la scène qui a lieu à ce propos dans le sénat, le récit de cette lugubre nuit passée en prison au milieu des larmes de tant de malheureux et dans les perplexités d’une conscience qui s’interroge et qui hésite. Tout cela est présenté, nous ne dirons pas de la manière la plus vraie, — nous avons fait nos réserves à ce sujet, — mais de la manière la plus vraisemblable ; ses actes et les motifs qu’il leur assigne, tout a une couleur spécieuse, tout se tient, tout s’explique. La dernière page du discours mérite aussi d’être remarquée. Le plus souvent chez les Attiques, chez Lysias même, qui nous fournit le vrai type de l’éloquence judiciaire telle que la voulaient et la goûtaient les Athéniens, les plaidoyers n’ont pour ainsi dire pas de péroraison ; à peine quelques mots résument-ils la discussion et indiquent-ils la fin. C’est que les logographes ou fabricans de discours sont dans des conditions toutes spéciales : ce plaidoyer qu’ils écrivent pour un client doit sembler l’œuvre naïve d’un particulier qui n’y entend point malice, et qui vient conter tout simplement son affaire ; il convient donc d’éviter tout ce qui, de près ou de loin, sentirait le métier, il convient de s’arrêter en honnête homme quand on a épuisé ses argumens. Rien ne demande plus d’art qu’une vraie péroraison, qui se détache heureusement du corps même de la harangue et en double l’effet ; mais aussi rien ne trahit plus clairement la main de l’artiste. Ce dernier et redoutable assaut tenté sur l’âme du juge, l’orateur seul sait le faire réussir en réservant pour cet effort suprême ses traits les plus pénétrans, ses mouvemens les plus pathétiques. Or ici c’était en son propre nom, dans sa propre cause, que parlait Andocide ; rien ne l’empêchait donc de se donner libre carrière, de mettre en œuvre toutes les ressources de son talent et de son habileté professionnelle. Voici cette péroraison, le seul échantillon que nous citerons de la manière et du style d’Andocide :

« Songez encore à ceci : voyez quel concitoyen vous aurez en moi, si vous me sauvez la vie. Héritier de richesses dont vous savez toute l’importance, j’ai été réduit, non par ma faute, mais par les malheurs de l’état, à la pauvreté et à l’indigence, puis j’ai relevé ma fortune par des moyens légitimes, par mon intelligence et par le travail de mes mains ; je n’ignore pas ce que c’est qu’être citoyen d’une telle ville, ce que c’est aussi que d’être hôte et étranger domicilié dans un autre pays, chez le voisin. Je sais ce que c’est qu’être tempérant et prendre une sage résolution, ce que c’est que souffrir pour une faute commise. J’ai fréquenté, j’ai tâté toute sorte de gens, ce qui m’a fait former des liens d’hospitalité et contracter des amitiés avec beaucoup de rois et de cités, ainsi qu’avec bien des particuliers, relations dont vous aurez votre part, si vous me sau-