Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/625

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

composent de ravissans bouquets de fleurs à côté d’une foule de plantes d’apparence modeste, qui appartiennent à des genres dont nous avons des représentans en Europe.

Malgré le froid et la neige, l’abbé David, à peine installé à Mou-pin, avait commencé ses explorations et s’était acquis le concours d’habiles chasseurs. Bientôt il était entré en possession d’animaux jusqu’alors inconnus, offrant à divers égards un grand intérêt. On pouvait s’étonner de rencontrer dans une pareille région des êtres qu’on est habitué à voir sous d’autres climats. En effet, sur les hautes montagnes de la principauté de Mou-pin, où l’hiver est d’une longueur interminable et d’une rigueur extrême, se trouvent des singes. On se demande par quelle singularité ces animaux frileux, qui, en Asie, en Afrique, comme en Amérique, sont les habitans des plus chaudes contrées, ont des espèces organisées pour vivre dans des conditions toutes différentes. Il est vrai qu’un explorateur de l’Himalaya, Hodgson, a rencontré, il y a déjà plus de trente ans, des singes sur les montagnes boisées du Népaul ; mais ceux-ci, pensons-nous, ont encore un séjour moins triste que les hôtes des forêts de Mou-pin. Au reste la végétation tropicale a offert un exemple comparable : des fougères en arbres et des palmiers ont été observés en quelques endroits près des glaciers, et tout le monde sait que, pour conserver des échantillons de ces plantes, nous devons les maintenir dans des serres chaudes. Les singes que l’abbé David a découverts portent un vêtement capable de les garantir contre les intempéries d’un climat rude ; les uns, du genre des macaques, sont couverts de très longs poils fourrés d’un brun obscur, les autres, du genre des semnopithèques, ont un pelage nuancé de teintes dorées et argentées, et si fourni que volontiers on le comparerait à la toison d’une chèvre[1].

On n’avait pas trompé notre missionnaire au sujet de l’existence d’ours blancs dans les montagnes les plus inaccessibles. L’abbé David avait eu hâte d’interroger les chasseurs, et il avait reçu d’eux la promesse que des dépouilles du curieux animal lui seraient bientôt apportées. Il ne tarda pas en effet à être mis en possession du grand mammifère, à, la fois remarquable par des traits de conformation singuliers et par une coloration tout à fait exceptionnelle. L’animal, de la taille ordinaire des ours, est blanc, avec les oreilles, le tour des yeux, les quatre membres et le bout de la queue noirs ; il a les oreilles courtes et le dessous des pieds très garni de poils. Un naturaliste doit toujours craindre d’attacher trop

  1. Ces espèces de singes ont été décrites par M. Alphonse Milne Edwards sous les noms de Macacus thibetanus et de Semnopithecus roxellana. — Comptes-rendus de l’Académie des Sciences, t. LXX, p. 341.