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et M. Chauveau, et envoyés en Europe par le consul de France, M. Dabry, témoignaient de l’existence d’une région habitée par beaucoup d’animaux encore inconnus.

De Tchen-tou, la capitale du Sse-tchuen, à Mou-pin, la distance n’est pas énorme : on compte sept jours de marche, mais le chemin parcouru en un jour n’est pas considérable. Il faut toujours grimper par des sentiers aussi raides et aussi fatigans que ceux des Alpes. Au mois de mars 1869, l’abbé David franchissait la limite occidentale de la Chine et allait s’établir à Mou-pin, le centre d’activité de la principauté indépendante du Thibet oriental. C’était le pays depuis longtemps rêvé par notre missionnaire, le pays qu’aucun Européen n’avait encore visité, le pays qui promettait d’importantes découvertes. À l’arrivée, l’aspect de la contrée est désolant et jette la tristesse au cœur. « L’endroit où je me trouve et où je pense séjourner près d’un an, écrit le savant lazariste, est une affreuse région de montagnes raides et aiguës, comme entassées les unes sur les autres. C’est le commencement du haut plateau du Thibet. Dans la maison que j’habite, le baromètre indique une hauteur de plus de 2,000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et des pics vêtus de neiges perpétuelles s’élèvent non loin d’ici[1]. » Si le climat convient à beaucoup d’animaux et même à des oiseaux qui peuvent compter parmi les plus belles créatures du monde, il est vraiment bien pénible pour les hommes. À Mou-pin, situé entre le 30e et le 31e degré de latitude, l’hiver persiste dans toute sa rigueur à la fin du mois de mars : la plus grande partie du pays est encore sous la neige. Pendant le mois de juin, notre voyageur n’a vu le soleil qu’une demi-journée ; la pluie est presque continuelle ; il est impossible de se préserver de l’humidité, et le naturaliste déplore la perte d’un herbier et d’une collection d’insectes formés avec des peines inouïes. Les sentiers des montagnes abruptes sont tellement impraticables à l’époque des pluies d’été, qu’on ne peut songer à effectuer aucun transport.

Cependant cette région désolée n’est pas sans présenter un caractère grandiose : les montagnes sont boisées pour la plupart, et, sur les parties les plus élevées, un if colossal est l’essence qui domine dans la forêt. L’arbre magnifique monte droit, haut comme les plus hauts sapins d’Europe, et ne demeure point inférieur aux immenses chênes du voisinage, disent les explorateurs anglais, qui ont admiré l’if gigantesque sur les pentes méridionales du Thibet, ou en certains endroits de l’Himalaya. Comme sur la plupart des montagnes de l’Asie centrale, les rhododendrons d’espèces variées

  1. Lettre adressée à M. Milne Edwards.