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LA PROPAGANDE PRUSSIENNE EN ALSACE.

progrès de l’instruction primaire n’en furent pas moins rapides. Ici encore c’est à l’Allemagne qu’il faut comparer l’Alsace. La population de l’Alsace est de 1 119 000 habitans, celle du grand-duché de Bade de 1 400 000. Le grand-duché a une école pour 738 habitans, l’Alsace en a une pour 510 habitans. Le nombre des élèves dans le grand-duché est 1/7 de la population totale, en Alsace 1/6. Pour les élèves des salles d’asile et des cours d’adultes, nous trouvons dans le duché de Bade qu’ils représentent 1/119 de la population totale et 1/54, en Alsace 1/25 et 1/50. On compte dans le pays de Bade 74 élèves par maître, de ce côté du Rhin 59[1]. On voit que toute accusation contre l’incurie de l’administration française serait déplacée. Il ne reste à la polémique allemande qu’à examiner nos chiffres et à démontrer qu’ils sont faux ; on ne peut admettre d’autre forme de raisonnement.

III.

La propagande prussienne fausse l’histoire, comme elle méconnaît les faits les plus simples de la statistique. C’est un des lieux-communs de cette propagande, que nous avons conquis l’Alsace, que nous l’avons enlevée contre son gré à la confédération germanique. Comment les Allemands expliquent-ils alors la fidélité que l’Alsace a témoignée à la monarchie dès les premiers jours ? Au lendemain des traités de Westphalie, l’Alsace sans doute va protester ; elle n’acceptera pas sans mot dire l’autorité du roi Louis XIV ; son histoire dit assez qu’elle est belliqueuse et énergique, elle a fait ses preuves d’indépendance : n’est-elle pas au reste allemande de langue, protestante de religion ? Elle sera une des provinces les plus agitées, les plus mécontentes. La réunion est à peine accomplie, que déjà les occasions rendent la révolte facile. Sous le ministère de Mazarin, la France, envahie au nord et au sud, est divisée par la guerre civile ; de vieilles provinces méconnaissent l’autorité du roi. L’Alsace donne l’exemple d’un dévoûment absolu. En 1674, en 1676, les Allemands victorieux occupent la vallée de l’Ill ; l’Alsace tendra-t-elle la main à ces alliés naturels, à ces frères d’outre-Rhin ? Elle les reçoit comme des étrangers, comme des ennemis. Vingt fois, depuis la paix de Nimègue jusqu’au traité d’Utrecht, les impériaux sont maîtres de l’Alsace ; de 1708 à 1713 en particulier, la monarchie traverse des épreuves cruelles comparables à celles que nous venons de subir. Nos ennemis nous croient vaincus pour toujours ; l’heure de

  1. C’est en Alsace, au Ban-de-la-Roche, sous les auspices du vénérable Oberlin, qu’ont été créées les premières salles d’asile.