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des élections. On ne peut pousser plus loin ce mépris de la légalité qui rend tous les attentats possibles. Tout d’abord la précipitation même du vote l’a rendu illusoire. C’est le samedi à midi que Paris apprit qu’il devait voter le lendemain matin ; nulle entente n’était possible sur les candidats, le temps manquait pour l’affichage des professions de foi. Ce n’était plus qu’une affreuse loterie, excepté pour les chefs du mouvement, qui avaient disposé les lots de manière à tirer à coup sûr. La candidature officielle s’est épanouie dans toute sa gloire par ce beau jour de dimanche. Les divers sous-comités avaient fait afficher leurs listes de candidats à la porte des mairies ; l’élection marchait à la baguette, sauf dans trois ou quatre sections. Le comité directeur, par une manœuvre indigne, fit placarder le jour même du vote la nouvelle, qu’il savait fausse depuis la veille, d’une insurrection triomphante à Lyon. Le nombre des votans fut plus grand qu’on ne l’eût imaginé : il s’éleva au chiffre de 125,000 ; les abstentions cependant furent en majorité malgré le compromis si déplorable de quelques maires et députés de Paris, secondés par plusieurs journaux, qui avaient poussé la population aux urnes, oubliant que toute conciliation aux dépens du droit est fatale. Sauf dans trois arrondissemens, le 2e, le 6e et le 9e, les modérés furent complètement battus. Il faut lire le rapport de la commission des élections à la commune pour se faire une idée de l’état mental du parti révolutionnaire. Le seul obstacle à la validité d’une élection communale était le fait d’appartenir à l’assemblée nationale de la France, tandis que l’étranger était admis sans difficulté par cette considération, que « le drapeau de la commune est celui de la république universelle. » La loi électorale de 1849, d’après laquelle les électeurs avaient été convoqués, fut abrogée après coup au profit de six candidats qui n’avaient pas obtenu le huitième des suffrages, et tous les six votèrent avec ensemble pour une résolution qui frappait de nullité tous les décrets ultérieurs : c’était pousser l’arbitraire jusqu’au ridicule.

Le corps communal ainsi confectionné présenta le plus bizarre amalgame. Le comité de la garde nationale lui avait fourni un contingent important ; c’était l’élément le plus socialiste, l’état-major de l’Internationale, parfaitement décidé à suivre ses visées particulières, et à faire ses expériences de médication sociale sur Paris, comme dans une clinique vaste et commode. À cette fraction appartenaient quelques hommes généreux qui s’étaient laissé prendre à l’espoir d’améliorer le sort de leurs frères, mais n’ont pas su décliner suffisamment la solidarité d’actes coupables qu’ils sont les premiers à condamner. Après les grévistes du comité venaient un certain nombre d’ouvriers influens dans leurs quartiers, des réputations d’atelier, puis les clubistes émérites qui avaient une vo-