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Au fond, de quoi s’agit-il ? Depuis quatre mois ou bien près, ce que nous avons de garanties et de sécurité repose sur ce qu’on pourrait appeler la trêve patriotique des partis. Les États-Unis, en certaines périodes de leur histoire, ont vécu pendant des années de compromis sur les plus graves questions, notamment sur cette question de l’esclavage dont on avait bien raison de redouter le péril, puisqu’elle a fini par aboutir au plus effroyable déchirement. Ici c’est un véritable compromis politique et constitutionnel consenti et signé par toutes les opinions, d’abord pour arriver à la paix avec l’ennemi étranger, puis pour mettre un terme à la guerre civile. Le moment est-il donc venu de rompre cette trêve ? Ne vaut-il pas mieux la maintenir au contraire et prolonger cette situation où l’union de toutes les forces, de toutes les volontés n’est point de trop pour résoudre les problèmes qui nous pressent de toutes parts ? Sans doute cet état étrange où la France est tout simplement la France, sans savoir au juste si elle sera décidément une république ou une monarchie, cet état ne répond pas entièrement aux espérances ou aux impatiences des divers partis, il subsiste par la prédominance d’un intérêt supérieur à tous les partis ; mais c’est précisément sa force, sa raison d’être, qui n’est point encore épuisée, et la preuve, c’est que, toutes les fois qu’on cherche à l’entamer, on hésite bientôt et on recule, il peut bien y avoir des impétueux et des impatiens prêts à tenter les aventures ; la masse de l’assemblée, qui se compose d’hommes sensés et désintéressés, résiste, s’arrête, parce qu’elle sent bien la responsabilité qui peut s’attacher à une brusque et imprudente rupture de cette trêve du bien public.

Aujourd’hui comme hier, tout tient à la persévérante union de M. Thiers et de l’assemblée. Quelle raison y aurait-il donc de rompre ce faisceau qui a été jusqu’ici la garantie de la France ? Entre ces deux forces, il peut y avoir des malentendus, des vivacités ; il ne peut pas y avoir une rupture, il n’y a point de conflit possible, parce qu’un conflit serait une sorte de désertion, un véritable oubli du devoir patriotique le plus simple, parce qu’en dehors de cette alliance il n’y a que le chaos ou des aventures qui conduiraient peut-être au chaos par un autre chemin. Les esprits réfléchis le sentent bien, et comme les esprits réfléchis le pays tout le premier sent instinctivement que M. Thiers est pour lui un gage de sécurité. Le mandat qu’il avait reçu, l’illustre chef du pouvoir exécutif l’a rempli assurément depuis trois mois de façon à fortifier encore cette confiance qui était allée spontanément vers lui. Qu’on songe bien en effet aux difficultés de toute sorte à travers lesquelles il a eu la douloureuse mission de conduire la France pendant ces trois mois : une paix cruelle à disputer aux âpres convoitises d’un orgueilleux ennemi, une armée à refaire dans le feu de la guerre civile, une insur-