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voir les causes multiples qui les avaient préparées, cette désorganisation croissante de nos forces et de nos mœurs militaires dont quelques esprits clairvoyans étaient seuls à s’alarmer, la guerre civile qui expire aujourd’hui dans le sang et dans le feu met tragiquement à nu ce travail de démoralisation qui s’accomplissait au sein de la société française. On le soupçonnait à peine. La France vivait en haut de luxe, de bien-être et de plaisirs équivoques, pendant que se développaient en bas ces idées d’un matérialisme abject, ce cosmopolitisme international, ces convoitises et ces haines confuses qui ont affaibli le sens de la patrie autant que le sens moral, et qui ont fini par conduire à cette commune qu’on a vue, expression dernière d’une dissolution sur laquelle l’incendie est venu projeter ses clartés lugubres. À cette flamme des incendies de Paris, la France peut voir ce qui l’a mise en péril. Il faut évidemment qu’elle s’arrête et qu’elle oppose au mal qui la menace ces trois choses qui sont la force des nations comme des individus, le goût renaissant du travail, la puissance de l’idée morale, le sentiment ravivé de la patrie. Ces événemens sont en quelque sorte pour elle une sommation de sa destinée. Il faut qu’elle reprenne son rang, et en définitive, si quelque chose peut la relever à ses propres yeux comme aux yeux du monde, en lui rendant le sentiment de son rôle universel, c’est que dans cette formidable crise elle ne souffre pas pour elle seule et ce n’est pas elle seule qu’elle sauvera. Ceux qui seraient tentés d’avoir pour elle d’inconvenans dédains doivent y mettre un peu de mesure, car, si elle a toute la peine de la formidable expérience qu’elle fait en ce moment, c’est la civilisation qui en recueillera les profits. La victoire de la France est une victoire de la société européenne tout entière. Les gouvernemens le sentent bien, aussi se montrent-ils disposés à ne point refuser l’extradition des criminels qui leur demanderaient asile. La Belgique a fait du moins une déclaration dans ce sens ; l’Espagne ferme sa frontière aux fugitifs. Les autres puissances, l’Angleterre la première, ne voudront pas certainement, considérer comme des réfugiés politiques des incendiaires et des meurtriers : l’appel que leur adresse M. Jules Favre dans une récente circulaire sera sans doute entendu ; mais ce n’est pas là ce qui peut préoccuper principalement aujourd’hui.

La France vient de se délivrer elle-même du plus grand des périls en délivrant Paris de la tyrannie qui l’opprimait. Ce n’est pas tout d’avoir gagné cette victoire sur l’insurrection, il faut évidemment que la politique garantisse ce que la force a conquis, et que la sécurité qu’on vient de se faire d’un côté par les armes ne soit point menacée d’un autre côté par les tiraillemens et les confusions des partis. La première chose essentielle et urgente d’abord, c’est d’achever la pacification de Paris, d’y faire rentrer, selon le mot du maréchal de Mac-Mahon, le travail avec