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raison indignée les ministres du souverain qui le trompaient en l’isolant de plus en plus, en le séparant des vrais courans de l’opinion, du milieu réel des faits et des hommes ; mais eux-mêmes n’avaient-ils pas été les serviteurs bien empressés, les ministres trop complaisans d’un autre souverain ? N’avaient-ils pas été ses courtisans attitrés, officiels ? n’était-ce pas sur ses mobiles faveurs qu’ils avaient édifié toute leur fortune politique ? Aussi voyez les conséquences. Les voilà portés au pouvoir par cette fameuse acclamation qui devait plus tard les renverser, les voilà siégeant à l’Hôtel de Ville, leur capitole d’un jour ; on dirait qu’ils ne s’appartiennent plus : en effet ils appartiennent à un tyran de qui c’est une rude affaire que de mériter ou de conserver les bonnes grâces. Après avoir proclamé sans droit la république, que le peuple de Paris demande, ils ajournent sans droit les élections, qui semblent lui déplaire. Pendant tout le temps du siège, ils s’abandonnent passivement avec une sorte d’imprévoyance folle à toutes les chimères d’un optimisme irréfléchi que leur bon sens ne partage pas, mais qui flattent l’orgueil du peuple ; ils prolongent son rêve par de misérables artifices, craignant son réveil, qui devait être d’autant plus terrible qu’on l’avait retardé par des expédiens. Ils se laissent acculer de jour en jour, presque d’heure en heure, à l’extrémité la plus désespérée, différant l’aveu qui doit déplaire au peuple, au risque de subir de la part de l’ennemi les plus dures conditions. N’avait-on pas négligé systématiquement toutes les occasions raisonnables de traiter que n’aurait pas manqué de provoquer ou de saisir un véritable homme d’état moins soucieux de l’opinion irresponsable que de sa propre responsabilité, assez patriote pour jouer son impopularité momentanée contre le salut de la France, assez avisé pour réserver les forces presque intactes du pays et préparer les revanches de l’avenir ? Était-ce bien un gouvernement, cette réunion d’hommes uniquement appliqués à consulter les variations de leur popularité au thermomètre de l’opinion parisienne ? Enfin, quand tout fut consommé, ce furent des périphrases qui furent chargées de nous annoncer la ruine de nos espérances. La capitulation la plus rigoureuse devint sur les affiches blanches « une honorable convention. »

Ce beau langage trompa pendant quelques jours le peuple de Paris sur l’étendue de son malheur. Qu’y gagnait-on que de bercer un instant sa colère ? Puisqu’il avait été impossible de conjurer la catastrophe, il eût été plus noble de l’annoncer avec cette simplicité d’accent qui convient au courage sans espoir et au devoir accompli. La périphrase, qui n’était qu’une faute de goût, fut aggravée par une faute politique qui devait produire les derniers malheurs. Pour