Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

logique absurde de l’absolu servie par la passion. La violence des passions au service d’une logique outrée, n’est-ce pas le caractère et la marque de l’esprit révolutionnaire ? Dès lors, le mouvement est lancé ; il ne s’arrêtera plus à telle limite que voudrait en vain lui marquer l’agitation libérale débordée de toutes parts : partout où se dresse un obstacle, il est supprimé de vive force. La révolution règne enfin grâce à l’énergie de quelques sectaires. La mollesse des uns, la complicité passive des autres, les ont laissés maîtres du terrain ; mais ils vont trouver bientôt dans leur victoire sans frein leur ruine et leur châtiment. La série des excès auxquels ce parti semble fatalement condamné tire de leur torpeur les instincts conservateurs endormis ou désarmés. L’excès de la peur rend courage aux plus timides. La minorité violente rentre dans l’ombre avec ses chefs discrédités, avec son mot d’ordre, qui a perdu sa vertu magique, et son drapeau sinistre, qui n’a jamais été que celui d’une sanglante et dérisoire fraternité. Et ainsi recommence à chaque génération, ou peu s’en faut, l’histoire de notre pauvre pays. « Heureusement, disait lord Brougham, que la France fait une révolution tous les quinze ans ; sans cela elle serait la première nation du monde. » La joie de l’étranger devrait être la leçon de la France.

Ce que l’on appelle le tempérament monarchique du pays n’est pas autre chose que l’instinct de la conservation sociale exaspéré par des surprises et des terreurs trop souvent renouvelées. Ce n’est, à dire vrai, que l’amour violent et le besoin de l’ordre, nécessaire au développement de son travail, à sa vie même, qui ne peut être chaque jour suspendue violemment ou remise en question. La preuve en est que le choix de la monarchie est indifférent à l’immense majorité des classes conservatrices, même dans la province. Elles appuient successivement, avec le même zèle, les monarchies d’origine et d’ordre différens, bien moins soucieuses du titre auquel le pouvoir s’exerce que des chances de stabilité que lui offre ce pouvoir, bien plus ardentes à en soutenir la réalité efficace qu’à en défendre la légitimité platonique. Or on ne peut pas dire qu’un peuple soit de tempérament monarchique quand la religion dynastique n’existe plus chez lui. Qu’une bonne fois la république sache être modérée, patiente, pacifique, qu’elle sache ne pas effrayer les parties simples et laborieuses de la nation, on verra comme elle pousserait facilement et profondément ses racines dans le sol bouleversé de la vieille France. Par malheur, quand elle aurait tout à gagner à la persuasion, elle a l’air de ne compter que sur la force. C’est ce qui est arrivé cette fois encore, et on serait malvenu à le nier. Les événemens de ces huit derniers mois ont été pour chacun de nous une rude école de politique expérimentale. La logique des