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tête d’environ 15,000 hommes d’armes bien équipés, armés et disposés, suivis d’un grand nombre de sergens de milice que lui avaient fournis les communes et les bourgeois de Paris[1]. Avec eux, il avait emporté la place forte de Breteuil, repoussé le duc de Lancastre, et il était en mesure, ayant réparé ses pertes et recruté ses troupes, de repousser à son tour le prince de Galles et de l’expulser des terres de France. Tel est le témoignage de Villani. Il est précis quant aux Anglais, un peu vague quant à l’armée du roi Jean ; mais il est loin de donner à ce dernier le nombre d’hommes qu’on lui attribue généralement, et la composition n’en est pas choisie comme celle de la troupe anglaise. Les milices communales étaient de médiocre qualité, comme l’on sait, et, si la supériorité numérique des forces françaises est incontestable, la proportion en est évidemment exagérée. L’indication de Villani est confirmée par un document anglais, qui réduit les Français combattant à Poitiers à 8,000 hommes d’armes, bonnes troupes, et à 40,000 hommes des communes. On a la lettre par laquelle Edouard III apprend aux évêques d’Angleterre la victoire de Poitiers et leur demande d’en rendre grâces à Dieu. Edouard y parle de l’armée française en termes qui ne permettent pas de supposer la disproportion phénoménale dont on a parlé[2]. Selon un autre document anglais, le prince de Galles aurait perdu 1,900 hommes d’armes à la bataille, et 1,500 archers à pied[3]. Cette perte doit être certaine ; elle prouve qu’on s’est mieux battu à Poitiers qu’on ne l’a dit communément. Elle ne permet pas de supposer que les Anglais soient restés avec 4,500 hommes seulement pour vaincre, rançonner et poursuivre l’armée française, en la réduisant même au corps de réserve que commandait le roi Jean en personne. Quant à Froissart, les textes que nous possédons aujourd’hui le mettent en contradiction avec lui-même. Une rédaction attribue aux Anglais environ 12,000 hommes, savoir : 3,000 hommes d’armes, 5,000 archers et 4,000 bidaus, c’est-à-dire soldats armés à la légère ; une autre rédaction réduit ce nombre à 8,000[4]. Froissart a les mêmes variations pour le nombre des Français. En une rédaction, il leur attribue plus de 60,000 hommes ; en une autre, il les réduit à

  1. Giunti a lui si trovarana più di XIV mila cavalierl e molli sergonti,e non v’era pero tutta la sua forza, che al continuo vi crescea gente a cavallo e a pié. M. Villani, lib. VII, cap. VI et cap. IX. Hénault a donné 80,000 hommes au roi Jean.
  2. Voyez les actes de Rymer, III, t, p. 129 : Occurrcit ei (principi Valliœ) Joannez de Vallesio (c’est ainsi que l’Anglais désigne le roi de France) ipsius regni occupator injustus, cum exercitu grandi valde, et congressi sunt exercitus, etc. ; et Lettenhove, t. V, p. 523.
  3. Voyez le t. V, p. 528, du Froissart de Lettenhove, et le Froissart de Buchon, t.1, p. 354.
  4. T. V de Lettenhove, p. 405 et p. 411 ; cf. p. 421, 424, 529, etc.