Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apporteront les mêmes sophismes à la tribune, et qu’ils attribueront leur insuccès de 1848 à l’ambition d’un homme. Ils ne verront pas que c’est l’indifférence du pays qui a permis l’avènement de l’empire et la chute de la république. Pourquoi la France eût-elle défendu des institutions qu’on lui imposait de force, et qui ne lui donnaient ni sécurité, ni liberté ?

Aujourd’hui nous sommes dans une situation qui ne ressemble en rien à celle de 1848. Le malheur qui nous accable nous condamne à la sagesse. Il n’est point de parti qui puisse se présenter en sauveur, car tous les partis ont échoué dans la défense du pays, et la révolte de Paris a mis l’opposition en poudre. Si la France ne veut pas être dévorée par l’anarchie, il faut qu’elle se sauve elle-même par un effort héroïque ; elle ne peut le faire qu’en revenant à ce régime constitutionnel qui de 1814 à 1848 lui a donné la paix, la sécurité et une juste influence sur son gouvernement. Puissent tous les patriotes comprendre enfin qu’une assemblée unique livrera toujours le pays aux folies démagogiques, tandis que deux chambres réconcilieront la France avec la république, et assureront le règne de la véritable liberté !


II.

Il est une question qui se rattache à la division du pouvoir législatif, et qui a souvent arrêté les hommes de bonne foi. Si l’on établit deux chambres, comment les composera-t-on ? Point de difficulté pour la première, elle sera la représentation directe du peuple, c’est le suffrage universel qui la choisira ; mais la seconde, qui la nommera ? Fera-t-on comme en l’an m un conseil des anciens élu de même façon que le conseil des cinq-cents, mais d’où l’on exclura les jeunes gens et les vieux célibataires, comme suspects d’une jeunesse éternelle ? Entrera-t-on dans une voie nouvelle ? Comprendra-t-on que le nombre n’est pas tout dans la société, et que le problème du meilleur gouvernement n’est pas une opération d’arithmétique ? Au lieu de faire du sénat la doublure de l’autre chambre, pourquoi n’en ferait-on pas le représentant de la vie nationale dans toute sa diversité ? Pourquoi ne pas donner une tribune à l’agriculture, au commerce, à l’industrie, et même à l’administration ? Chez un peuple intelligent et artiste, pourquoi ne pas appeler au grand-conseil de la nation les hommes qui sont à la tête des lettres, des sciences et des arts ? Il y a là des combinaisons infinies, et l’on peut imaginer plus d’une solution acceptable. C’est une question de convenances et non de principes ; il y a évidemment plus d’un moyen de représenter les intérêts généraux du pays.