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conds vinrent éclater sur le talus même : 1 kilomètre encore, et nous étions défilés. Nous le franchîmes au pas de course, et nous arrivâmes sans de grandes pertes au bord de la Lauter. La passer, nous déployer en tirailleurs le long du chemin de fer, nous avancer jusqu’au pied des hauteurs, tout cela fut fait vivement, sans brûler une cartouche. On nous arrête un instant pour reformer les lignes. C’est comme un signal pour l’ennemi resté jusque-là invisible : une horrible fusillade éclate à la fois sur tout notre front de bataille. Les vignes sont littéralement couvertes de tirailleurs embusqués là depuis le matin, peut-être depuis la veille. Ils tirent à genoux, cachés dans les feuilles, et, si je ne me trompe, abrités derrière de petits monticules de terre qu’ils ont eu le temps d’amasser. Au début, nous en apercevons quelques-uns : les pointes dorées de leurs casques brillent çà et là parmi le feuillage ; mais bientôt, pareil au brouillard qui flotte le matin sur les fleuves, un épais rideau, de fumée les dérobe à notre vue. Ils ont par leur position, un très grand avantage sur nous, qui restons sur la route, en plein découvert, sans rien pour nous défiler que des arbres gros comme le bras et de rares tas de pierres. Par bonheur, ils tirent mal : en trois heures, ils ont à peine mis 50 hommes hors de combat sur 120 que nous étions dans la compagnie, et nous tenons toujours sans reculer d’une semelle. Il faut penser que notre tir est bien supérieur au leur, car malgré leur position, malgré leur nombre, ils sont par deux fois obligés d’appeler du renfort. Cependant nos munitions s’épuisent ; on en a redemandé, mais elles n’arrivent pas. Nous devrons bientôt cesser le feu. Déjà le centre fléchit ; menacée par un de ces mouvemens tournans où les Prussiens excellent, la droite plie ; nos canons sont réduits au silence, et nos mitrailleuses, démontées dès le début de l’action, ne peuvent nous soutenir. Il n’est que temps de regagner nos positions du matin, si nous ne voulons pas y être devancés par l’ennemi, qui du même coup nous enfermerait dans la ville. On sonne la retraite. Aussitôt les masses prussiennes, qui étaient restées masquées pendant le combat, s’ébranlent. Ils descendaient la colline au pas, sans se presser, sans chercher à nous gagner de vitesse, en gens qui craignent une surprise, et que la victoire étonne. De temps en temps, ils s’arrêtaient pour nous envoyer une décharge, et puis ils reprenaient tranquillement leur marche. Nous avions, chemin faisant, récolté sur les morts quelques paquets de cartouches. Lorsque nous eûmes passé la rivière et mis entre eux et nous de 500 à 600 mètres, l’idée nous vint d’essayer notre tir à cette distance. Un certain nombre d’entre nous s’arrêtèrent derrière un pli de terrain, et là posément leur envoyèrent chacun une douzaine de balles. Nous tirions l’un après