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tipliés réglèrent avec une grande précision pour la présentation des actes notariés chez les receveurs les délais nouveaux que l’interruption momentanée des services rendait nécessaires. Il fut admis en principe que tout le temps écoulé depuis le 6 août jusqu’à l’installation du titulaire prussien serait déduit et considéré comme non avenu. Jusqu’ici les comptables ne paraissent pas s’être rendus maîtres des lois variées qui concernent cet impôt ; le plus souvent ils sont obligés pour le tarif des frais de s’en remettre aux notaires : tel bureau qui rapportait à l’état plus de 60 000 francs par mois ne reçoit pas aujourd’hui 3 000 francs. Cependant au mois de janvier dernier, à peu près tous les services financiers étaient reconstitués et occupés par des fonctionnaires allemands ; l’autorité tenait la main à ce que l’impôt direct fût payé régulièrement par douzième, et au besoin les garnisaires faisaient leur rôle.

La justice ne fut pas réorganisée ; les conseils de guerre durent connaître de toutes les causes correctionnelles et criminelles ; les causes civiles furent ajournées. Ici les difficultés étaient trop nombreuses. On sait en effet que la procédure en Allemagne est écrite, et que les plaidoiries y sont d’une importance insignifiante. Les avocats alsaciens sont incapables de satisfaire aux exigences de la loi allemande, il en est de même des notaires et des avoués. Il faudra plusieurs années pour que les tribunaux civils puissent se constituer régulièrement en Alsace ; l’autorité devra sans doute, malgré le peu de goût qu’elle en a, modifier dans cette province les usages d’outre-Rhin.

Cette prompte réorganisation fait honneur à M. de Kühlwetter et aux agens qu’il avait sous ses ordres. En général, les employés allemands n’ont repris les services qu’avec tous les égards dus à des gens qu’on dépossède. Presque partout ils ont tenu à se conformer aux règles reçues en France pour la transmission des archives d’un comptable à son successeur. M. Carl Vogt, dans ses Lettres politiques, dit qu’à la fin de septembre plus de six mille demandes de fonctions en Alsace étaient arrivées dans les bureaux du chancelier de la confédération du nord, et il parle de cette nuée d’employés qui s’élancent avec leurs femmes et leurs filles vers la nouvelle province comme vers une Californie, qui, arrivés à leur nouveau poste, en possession d’honneurs inespérés, se complaisent dans une joie naïve et dans la contemplation de leur bonheur, comme s’ils avaient entrevu les félicités du monde surnaturel. M. Vogt pourrait décrire mieux que personne la satisfaction peinte sur le visage des fonctionnaires d’Alsace. Les petits emplois sont plus nombreux et beaucoup mieux payés en France qu’en Allemagne. Ces joies si profondes ont perdu quelques cerveaux dans l’administration du haut et du Bas-Rhin. Je signale à M. Vogt ce receveur des finances qui s’est pro-