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Certains agens souillaient le feu ; quelques personnes, dit un message du conseil fédéral, voulant compromettre la Suisse, « y travaillaient systématiquement, et cherchaient à surexciter l’opinion publique. » Il fallut des miracles de patience et de prudence pour déjouer ces provocations. Le conseil fédéral dut recommander aux journaux suisses « de ne pas afficher de partialité, de refuser les articles d’auteurs peu connus de la rédaction ou les articles irritans et les insinuations ayant un caractère général. » Cette mesure souleva des bourrasques ; la presse se dit opprimée, bâillonnée, et, dans une discussion des chambres, un député objecta non sans raison que les opinions individuelles des journalistes ne compromettaient en rien la neutralité du pays. Il lui fut répondu qu’il ne s’agissait pas d’une injonction faite aux journaux, mais d’un simple conseil amical justifié par les circonstances. L’affaire n’eut pas de suites, et les esprits finirent par s’apaiser des deux côtés du Rhin.

Il y avait bien d’autres difficultés à surmonter. Comment empêcher par exemple l’achat ou la sortie des armes ? L’Angleterre et les États-Unis ne croyaient pas, il est vrai, manquer à leurs devoirs de neutres en fournissant des engins de guerre aux belligérans, mais la Suisse, étant plus faible, devait être plus scrupuleuse, quoique son commerce et son industrie pussent en souffrir. Par malheur, la surveillance était difficile. Les marchands français usaient de mille stratagèmes pour déguiser leurs envois. D’autre part, les Allemands épiaient, furetaient, réclamaient ; il fallut pour leur faire plaisir envoyer dans la Suisse occidentale un commissaire spécial chargé d’empêcher la contrebande de guerre. Les Badois dénoncèrent une livraison prochaine de 40,000 fusils ; on les chercha partout, on ne les trouva point. Alors, pour ne pas faire de jaloux, on se mit à chercher sans plus de succès s’il n’y aurait pas des fusils clandestinement expédiés dans le grand-duché de Bade. Outre les envois d’armes, il y avait les enrôlement à prohiber. Il s’en fit quelques-uns dans les cantons de Genève et de Vaud dès le début de la guerre ; il s’en serait fait après de plus importans sans l’énergique intervention du conseil fédéral. On parlait tout bas de Suisses pontificaux, soldats et officiers, qui avaient quitté Rome pour aller s’engager en France, on annonçait la formation sur territoire helvétique d’une légion hanovrienne, d’une légion garibaldienne, d’un corps de francs-tireurs du Mont-Blanc ; mais ces tentatives n’eurent aucun résultat, et le message du conseil fédéral a pu constater qu’il n’y eut jamais de grande guerre où fussent engagés si peu de Suisses. Il était donc impossible de censurer sur ce point le petit pays neutre ; on se rabattit alors sur le passage des Alsaciens qui, après la prise de Strasbourg, quittèrent