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garnisaire. À midi, il reparaît en cravate blanche et en habit noir : il vient d’être nommé juge de paix, percepteur, landsrath ; il n’a eu qu’à changer de costume. Il pense que, redevenu fonctionnaire civil, il doit vous présenter toutes ses politesses.

Le chancelier de la confédération du nord, en créant le gouvernement d’Alsace, ne faisait donc que se conformer aux principes, arrêtés depuis longtemps, d’une théorie savante ; mais le gouvernement d’Alsace, à la différence de ceux qui furent institués depuis, devait rester sous la domination allemande. C’est ce qui explique pourquoi l’administration qui y fut installée ne présente que peu de rapports avec celles des gouvernemens voisins. À Reims, à Nancy, à Versailles, les fonctionnaires n’avaient à se préoccuper que des intérêts de l’armée[1] ; en Alsace, il fallait prendre possession du pays pour toujours, le germaniser, y établir une administration durable, travailler dès le mois d’août à faire accepter aux habitans les lois allemandes. Là est l’intérêt que présente toute étude sur ce gouvernement ; là est aussi la raison de la douceur et de la modération relatives qu’ont éprouvées, au moins à certaines heures, les Alsaciens. Un officier bavarois me disait : « Pour l’Alsace, nous avons pris des gants glacés. » On verra ce que sont les gants glacés des administrateurs prussiens. Toujours est-il certain que le sort des populations dans ce gouvernement a été beaucoup moins dur, beaucoup moins rigoureux que dans les autres départemens de l’est et autour de Paris. Les Alsaciens étaient des frères que l’Allemand le plus rigide pouvait tout au plus accuser d’un instant d’oubli dans l’amitié de la France ; il fallait les traiter comme des frères : on les traita en effet comme les Hanovriens et les Bavarois durant la campagne de 1866.

Depuis le jour où il fut créé jusqu’au 8 octobre, le gouvernement général d’Alsace resta établi dans la ville de Haguenau. Cette période préparatoire fut consacrée à organiser les services de la haute administration, à installer les préfets, les sous-préfets, les conseillers, qui, sous les ordres d’un commissaire civil et la haute direction d’un gouverneur-général, devaient gérer les affaires de la province. Il était bon de frapper tout d’abord les habitans par des principes nouveaux, et dont la grandeur pût les séduire, de montrer à côté de l’énergie militaire le génie civil prodiguant ses bienfaits et mettant tous ses efforts à guérir les maux que faisait la guerre. Une proclamation du gouverneur-général déclara que les armées alliées regardaient comme neutre tout homme qui ne portait pas les armes, qu’elles lui promettaient la plus entière protection. L’administration civile n’avait d’autre objet que de

  1. Voyez la Revue du 1er mai, les Prussiens en Lorraine.