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prendre que les alliés étaient partis après treize jours de résidence à Paris, et qu’elle ne reverrait probablement jamais ni Mourzakine, ni son oncle. Elle eut un profond chagrin, qu’elle renferma, dans la crainte d’être accusée de lâcheté de cœur. Les reproches de l’invalide n’étaient pas sortis de sa mémoire, et, en perdant l’espérance, elle ne perdit pas le désir d’être estimée encore. Elle pria le docteur de lui procurer de l’ouvrage. Il la fit attacher à la lingerie de l’hôpital Saint-Louis, où elle mena une conduite exemplaire. Les jours de grande fête, elle venait embrasser Moynet et tendre la main à Antoine, qui espérait toujours l’épouser. Elle ne le rebutait pas, et disait qu’ayant une bonne place elle ne voulait se mettre en ménage qu’avec quelques économies. Le pauvre Antoine en faisait de son côté, travaillait comme un bœuf, et s’imposait toutes les privations possibles pour réunir une petite somme.

Théodore était occupé aussi. Il apprenait avec Antoine l’état de ferblantier. Il se conduisait bien, il se portait bien. L’enfant malingre et débauché devenait un garçon mince, mais énergique, actif et intelligent.

Dans le quartier, comme disaient Francia et son frère en parlant de cette rue du Faubourg-Saint-Martin qui leur était une sorte de patrie d’affection, on les remarquait tous deux, on admirait leur changement de conduite, on leur savait gré de s’être rangés à temps, on leur faisait bon accueil dans les boutiques et les ateliers. Moynet était fier de sa fille adoptive, et la présentait avec orgueil à ceux de ses anciens camarades, aussi endommagés que lui par la guerre, qui venaient boire avec lui à toutes leurs gloires passées.

Dans sa joie de trinquer avec eux, il oubliait souvent de leur faire payer leur dépense. Aussi ne faisait-il pas fortune ; mais il n’en était que plus gai, quand il leur disait en montrant Francia : — En voilà une qui a souffert autant que nous, et qui nous fermera les yeux !

Il s’abusait, le pauvre sergent. Il voyait sa fille adoptive embellir en apparence : elle avait l’œil brillant, les lèvres vermeilles ; son teint prenait de l’éclat. Le docteur Faure s’en inquiétait, parce qu’il remarquait une toux sèche presque continuelle et de l’irrégularité dans la circulation. L’hiver qui suivit sa maladie, il constata qu’une maladie plus lente et plus grave se déclarait, et au printemps il ne douta plus qu’elle ne fût phthisique. Il l’engagea à suspendre son travail et à suivre, en qualité de demoiselle de compagnie, une vieille dame qui l’emmènerait à la campagne. — Non, docteur, lui répondit Francia, j’aime Paris, c’est à Paris que je veux mourir.

— Qui te parle de mourir, ma pauvre enfant ? Où prends-tu cette idée-là ?

— Mon bon docteur, reprit-elle, je sens très bien que je m’en